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Day Créations réflexives 2012 Défilement manuel

«La grande aventure, c’est de voir surgir quelque chose d’inconnu, chaque jour, dans le même visage. C’est plus grand que tous les voyages autour du monde. » Alberto Giacometti Cette série de diaporamas, que j’ai intitulée «Visages» , ne se veut pas une expérience biographique. Les limites imposées par un diaporama ne permettent pas, d’ailleurs, de présenter des biographies au sens traditionnel. «Visages» montre tantôt des figures publiques bien connues, tantôt des personnalités plus effacées et plus obscures. Mais derrière chacun de ces visages, il peut arriver qu’il se cache quelqu’un d’étonnant. Si «Visages» a bien sûr pour objectif d’informer, il a donc surtout pour but de surprendre. Car, comme l’écrit Yvon Deneault, «L’être humain a deux visages : celui qu’il nous montre et celui qu’il a vraiment. » Ce troisième diaporama de la série pourrait susciter la réflexion suivante : pourquoi certaines personnalités sont-elles tellement ménagées par la critique en dépit de leurs croyances, leurs discours, leur accoutrement, alors que d’autres ne sont guère épargnées? R. Day

Visages

Lorsqu’il est né dans une famille de paysans de Taktser (province d’Amdo, Nord-Est du Tibet), le 6 juillet 1935, son nom était bel et bien Lhamo Dhondup.

Deux ans après sa naissance, un lama répondant au nom de cinquième Reting Rinpoché (son nom véritable était Thupten Jampel Tishey Gyantsen) se rendit au bord du lac de Llamo-Latso. Là, a-t-il prétendu, il aurait eu une vision lui révélant que Lhamo Dhondup était en réalité la réincarnation du treizième dalaïlama qui avait vécu de 1876 à 1933. On remplaça alors le nom de Lhamo Dhondup par celui de Tenzin Gyatso.

Toile de Lhamo Dhondup, alias Tenzin Gyatso, réalisée dans les années '30 par Kanwal Krishna Lhamo Dhondup à 4 ans

Le 22 février 1940, âgé de cinq ans, Lhamo Dhondup / Tenzin Gyatso, fut intronisé au cours d’une cérémonie au palais du Potala, à Lhassa, la capitale du Tibet.

Le 17 novembre 1950, âgé de 15 ans, Tenzin Gyatso fut consacré chef spirituel et temporal de d’État du Tibet, devenant ainsi le quatorzième dalaï-lama. Contraint pour des raisons politiques de s’exiler en Inde en mars 1959, il est aujourd’hui considéré comme le chef du gouvernement tibétain en exil.

Lhamo Dhondup / Tenzin Gyatso en 1956

Lhamo Dhondup / Tenzin Gyatso Sa Sainteté le dalaï-lama XIV

Chef religieux autant que leader politique, détenteur d’un prix Nobel de la paix, le dalaï-lama jouit d’un prestige considérable en Occident. À chacun de ses déplacements, il est reçu en grande pompe par les chefs d’État et de gouvernement des pays qu’il visite – d’ailleurs à la très grande insatisfaction de la République populaire de Chine. Philosophes, intellectuels et artistes lui vouent une admiration sans borne. Et les gens les plus ordinaires se déplacent en foule pour entendre ses conférences. En fait, autant il est de bonne guerre de désapprouver toutes les personnalités politiques en Occident, autant il paraît convenable de critiquer à peu près tous leaders religieux d’allégeance chrétienne, autant il serait considéré hautement inadmissible et très déplacé d’émettre la moindre critique envers le quatorzième dalaï-lama. Autrement dit, la rectitude politique occidentale proscrit tout commentaire le moindrement négatif envers «Sa Sainteté» . Mais honnêtement, le personnage est-il à ce point parfait? Est-il exempt de la moindre erreur, de la moindre faute? Beaucoup le pensent, mais pas tous. C’est ainsi que le romancier français Patrick Hutin s’est permis publiquement quelques propos peu amènes envers le chef politique et spirituel tibétain lors de son passage en Suisse en 2009. Voici ce que cela a donné.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au personnage du dalaï-lama? Ce n’est pas à lui que je me suis intéressé mais à la cause tibétaine. Au départ, je voulais écrire un roman d’aventures et je cherchais une cause perdue, mais une belle cause. Et pour moi il n’y en avait pas de plus belle que celle des Tibétains, petit peuple devant le plus grand, du moins le plus nombreux de l’humanité. J’ai commencé à me plonger dans les livres et j’ai lu entre les lignes. Je me suis vite rendu compte que la cause en question prenait l’eau, en raison, justement, des bouddhistes et du dalaï-lama. Si la cause tibétaine n’a pas avancé, c’est aussi du fait du choix de la non-violence. Ce n’est pas en restant les bras croisés que les gens réussissent à se libérer, c’est en se battant.

En Occident, le dalaï-lama jouit d’un capital de sympathie rarement atteint par un religieux doublé d’un politique. Visiblement, il vous insupporte. Pourquoi? Cette personnalité un peu éthérée trône bien au-dessus du bas peuple, à l’image du palais du Potala perché sur les hauteurs de Lhassa. Il est dans les nuages. Je n’ai rien contre le dalaï-lama en tant que personne, il a l’air d’être un homme très sympathique en effet. Mais en revanche, son action ne sert pas le peuple tibétain et ne l’a jamais servi.

Pour quelles raisons? Le clergé bouddhiste tibétain, d’abord, est l’un des plus rétrogrades et archaïques du monde. Mais cela, les Occidentaux benêts et béats, pour qui l’herbe est plus verte chez le voisin, ne le voient pas. Ce clergé s’est greffé sur le peuple et a vécu sur son dos. Sur un certain plan, le dalaïlama ne fait que reproduire cette donne quasi séculaire. Tant lui que les Chinois ont intérêt à ce que le statu quo persiste.

Pourquoi ce statu quo, comme vous dites, serait -il favorable aux deux parties? Historiquement, la Chine et les autorités du Tibet se sont tout le temps entendues, les Chinois assurant la sécurité des frontières, le clergé assurant le magistère intellectuel et religieux sur le peuple. C’était une espèce de donnant, ou de gagnant, gagnant. Cette entente a perduré sur le Tibet et a très peu évolué. En dépit d’une dure répression chinoise qui s’est abattue sur le Tibet au moment des Jeux olympiques de Pékin en 2008, vous maintenez qu’il y a un accord tacite de partage des pouvoirs entre les deux parties? C’est plutôt un accord inconscient ou involontaire, mais la réalité c’est que le peuple tibétain a toujours été pris entre le sabre et le goupillon.

Autrement dit, à vous écouter, le dalaï-lama et le clergé qu’il représente se satisfont, involontairement ou hypocritement, de cette situation? Mais bien sûr. Si jamais le Tibet devenait démocratique selon les critères occidentaux, l’emprise du clergé sur le peuple disparaîtrait de facto. Alors, que ça se termine au Tibet, comme cela s’est produit dans tous les pays où la démocratie s’est imposée, par l’invasion de Pepsi-Cola et des baskets Nike, ce n’est peut-être pas un bien.

Si le peuple tibétain, dans sa majorité, voit dans le dalaï-lama un projet politique qui leur convient, pourquoi le lui contesteriez-vous? Si le peuple tibétain, et je n’omets naturellement pas la domination chinoise, avait la liberté de choisir son avenir politique, qui dit qu’il opterait pour un régime théocratique, tel que le dalaï-lama l’incarne? En outre, il faut savoir qu’il y a des Tibétains vivant au Tibet qui n’ont que faire de ce chef religieux. Certains parmi eux se demandent bien pourquoi, à Lhassa, peu avant les JO de Pékin, des manifestations dont on sait qu’elles ont été réprimées, ont éclaté. Je n’ai pas encore vu de sondages d’opinion réels sur la popularité du dalaïlama auprès des Tibétains. Quand on dit à des gens, dès leur naissance, qu’il faut soutenir le dalaï-lama parce qu’il est le représentant de Bouddha sur terre, où est la liberté? Vous prenez l’Europe au bas Moyen - ge et vous avez une idée de ce à quoi ressemblait le Tibet jusqu’il y a peu.

Comment expliquez-vous la fascination de stars comme Richard Gere ou Sharon Stone pour le dalaï-lama? Cela tient à cette idée qu’il existe quelque part un pays caché sous les nuages qui aurait le secret de l’existence, de la bonté, dans la droite ligne du mythe du Bon Sauvage. En gros, le Tibet. Il y aurait quelque part un reliquaire aux joies encloses, comme disait le poète voyageur breton Victor Segalen. Les gens ont besoin de croire à ça. En plus, comme ils ne comprennent pas la langue des Tibétains, ils en arrivent à croire que la médecine tibétaine est pleine d’enseignements cachés et qu’elle soigne tout. On cela revient parfois à pisser sur la plaie.

Sur la question des mœurs et des libertés individuelles – l’homosexualité et l’avortement notamment –, le dalaï-lama est très restrictif, mais cela ne semble pas entamer son capital de sympathie en Occident. Aux États-Unis, quand on s’est aperçu de la doctrine du dalaï-lama sur ces questions, on lui a demandé de mettre la pédale douce, car cela desservait sa cause en faveur d’un Tibet libre. Les spécialistes pointent chez lui un double discours : l’un destiné aux Occidentaux, un autre tourné vers l’interne – beaucoup plus rigoriste et archaïque.

Le bouddhisme du dalaï-lama fait-il office, pour les Occidentaux, de religion orientale acceptable, au moment où l’islam passe beaucoup plus mal? Le bouddhisme du dalaï-lama – qui ne représente que 3% du monde bouddhique – est en effet plus occidentalo-compatible. On peut l’admettre dans les cafés à Saint Germain ou dans les villas à Hollywood, mais les Ouïgours, comme ils sont musulmans, on se gardera de les inviter. On ne voit pas de gens se battre en Occident pour l’indépendance ouïgour.

Ce qu’en pense le dalaï-lama Un tremblement de terre ayant fait plus de 20 000 morts en Inde en 2001 : «C’est certainement le résultat d’un mauvais karma» . Le clonage : «Ce que la nature a créé est parfait et vous n’avez pas le droit d’y toucher. »

Ce qu’en pense le dalaï-lama La souffrance : «Il n’y a pas de souffrances injustes, il n’est même pas de souffrance inutile […] Toute action commise porte ses conséquences. Aujourd'hui et demain, dans cette vie ou dans une autre. Ce concept est valable pour un individu aussi bien que pour un groupe ou une nation. » L’avortement est-il une violence? «Tout à fait, et il vaut mieux l’éviter. Par contre, je suis pour les méthodes de contrôle des naissances : la pilule ou le préservatif. »

Ce qu’en pense le dalaï-lama L’homosexualité : «Cela fait partie de ce que nous, les bouddhistes, appelons une mauvaise conduite sexuelle. Les organes sexuels ont été créés pour la reproduction entre l’élément masculin et l’élément féminin et tout ce qui dévie n’est pas acceptable d’un point de vue bouddhiste : entre un homme et un homme, une femme et une autre femme, dans la bouche, l’anus ou même en utilisant la main. »

«Je n’ai pas la compétence pour évaluer le regard politique posé par Patrick Hutin. Je sais aussi qu’il n’est pas bien vu de critiquer le Tibet et le dalaï-lama, qui font partie des sujets intouchables et des mythes indéboulonnables en Occident. Toutefois, je trouve que soutenir le dalaï-lama, chef d’une théocratie non-démocratique, pour soutenir les Tibétains qui souffrent, ce serait comme soutenir Khomeiny pour défendre l’Iran (ce que la France a fait à l’époque) ou soutenir le pape pour défendre la liberté dans nos démocraties. » (Anonyme)

Documentation Entrevue d’Antoine Menuisier avec le romancier français Patrick Hutin, Le Matin Dimanche, 1 er août 2009. «Ce qu’en pense le dalaï-lama» - Interview accordée par le dalaï-lama au magazine français Le Point, 23 mai 2001. Commentaire anonyme sur les propos de Patrick Hutin au sujet du dalaï-lama – La Tribune de Genève , 2 août 2009. Laura-Julie Perreault, «Le dalaï-lama en six tranches de vie» , La Presse, 7 septembre 2011. Notes biographiques sur le dalaï-lama – Wikipédia. Photographies Internet Musique Michel Pépé, «Les lumières de Lhassa» CD Eurasia Conception R. Day Janvier 2012

On peut voir un certain nombre de mes diaporamas sur : http: //www. imagileonation. com/