Eloge de la vulnrabilit Dominique LHUILIER CRTDCNAM dominique
Eloge de la vulnérabilité Dominique LHUILIER CRTD-CNAM dominique. lhuilier@cnam. fr
Introduction n Appui sur différents travaux qui s’attachent à deux questions: - Quelles sont les conditions du maintien-retour en activité (et pas seulement en emploi) quand on vit avec une santé altérée ? - Quelles sont les conditions du travail pour tous ? Intégrer à ce vaste « chantier » : le traitement social, institutionnel, organisationnel (inaptitudes, chômage externe, interne –placardisation-, reclassement, invalidité, prévention instituée) ET les stratégies individuelles et collectives déployées pour composer entre désirs personnels, exigences professionnelles et exigences de santé…. *
Recherches-actions n « Le travail et l’emploi à l’épreuve de la maladie chronique : analyse comparative (hépatites virales, VIH, cancers, diabète) » (ANRS). L’équipe: D. Lhuilier, F. Brugeilles, D. Rolland, J. Cochin. n « Agir sur les individus et sur les collectifs pour un retour à l’emploi favorable à la santé des travailleurs atteints de cancer et bénéfique à l’entreprise » (INCa). L’équipe : AM. Waser, D. Lhuilier, J. Mezza, G. Huyez, P. Lénel, F. Brugeilles, K. Hermand et N. Rousset. n « Conditions du maintien en emploi des agents confrontés à un accident, à une maladie chronique ou à un handicap » : R. A dans une collectivité territoriale. L’équipe: D. Lhuilier, AM Waser, J. Cochin, M. Litim, S. Lainez, E. Rerolles.
Individualisation des questions de santé au travail n « A qui la faute ? » Prévalence et récurrence de cette interrogation dés que se profile un événement négatif, dans une confusion entre étiologie, causalité et responsabilité. n Déclinaison des jeux d’imputation causale: Accident du travail, suicide et tentative de suicide, TMS, dépression, maladie (s), addiction, pathologies post traumatiques, stress, souffrance… « exposition aux risques » / « individus à risques » *
Retour sur l’histoire n La notion de prédisposition et son extension: initialement des caractères innés de l’individu, puis intégration des caractères acquis, des dimensions psychologiques, des facteurs socioculturels. . . La prédisposition: prévalence des facteurs internes/méconnaissance ou euphémisation des facteurs externes des conduites. accidentalibilité sinistralité (accidents du travail, de trajet et maladies professionnelles) maladies: moins à risque d’être qualifiées de professionnelles si une prédisposition ou des facteurs personnels peuvent être mis en
Risque, vulnérabilité et résilience n Depuis les années 80, les notions de vulnérabilité, fragilité, précarité se généralisent en même temps que se déploie celle de risque. n Définir, mesurer et prévenir les risques, dans leur infinie déclinaison ET mise à l’agenda de la détection et de l’accompagnement des « personnes ou populations à risques » n Synonyme d’une réduction des capacités à faire face, la mesure de la vulnérabilité = évaluation du capital d’adaptation face aux risques et aux contraintes de l’environnement n L’explication causale par les vulnérabilités individuelles favorisée par la « dispersion » des problèmes de santé au travail (Volkoff, 2008)*
Transformations du travail n Précarisation: - de l’emploi: réduction des CDI, développement des CDD, travail intérimaire, flexibilité externe, sous traitance - du travail: polyvalence, mobilité géographique, professionnelle, réorganisations internes, turnover de l’encadrement, réorientations des objectifs n Intensification travail du - Pression temporelle sur le travail accrue. - Une intensification aujourd’hui non réductible à l’augmentation des cadences. S’ajoutent: pression des clients, obligation de décider dans l’urgence, arbitrage entre objectifs contradictoires, complexification du travail et défaut de moyens, envahissement de la vie privée
Transformations du travail n Individualisation du travail n Accroissement des exigences et réduction des ressources permettant d’y faire face n Fabrique de l’usure prématurée n Dégradation de l’employabilité de la main d’œuvre - l’intensification du travail qui réduit les temps d’échange sur le travail - l’individualisation de la GRH - la précarité des collectifs de travail et des appartenances de métiers
La vulnérabilité: un critère distinctif, un principe explicatif n Scénario de l’imputation causale aux « victimes » d’une altération de la santé, d’une perte « d’employabilité » …de difficultés au travail plus généralement n Une représentation duale du monde du travail: les sains, robustes, performants, battants… aptes / les autres, fragiles, vulnérables, déficitaires … sommés de se soigner n Confinement de la vulnérabilité dans des individus définis par leurs défauts = vulnérabilité différentielle + traitements ségrégationnistes qui renforcent l’étiquetage et les processus d’élimination. « On essaie de liquider les gens qui posent des problèmes plutôt que les problèmes que les gens posent » (Veil, 2012)*
Individualisme normatif et désaffiliation n Inflation imaginaire n Et d’abord un déni du corps Construction d’une image de travailleur impliqué, autonome, responsable et de préférence auto-suffisant pour pallier le manque de ressources collectives Un sujet rationnel plus que sensible Un sujet total* Déni du réel Déni des limites, des difficultés, des inattendus n Ceux qui sont étiquetés « vulnérables » = des révélateurs de l’inadaptation des normes du travail contemporain
Vulnérabilité ? n Vulnérabilité du vivant + un trait fondamental de la condition humaine n Elle est une condition négative de la vie et indique la santé, la capacité à s’autodéterminer ne sont que possibles. n La vie humaine est conditionnée par son usage; usage de soi par soi et usage de soi par les autres* n Le déni de cette vulnérabilité passe par la construction de l’altérité et la chasse aux « vulnérables » n Mise en dépôt du négatif sur des personnages caractérisés par leurs déficits supposés (de santé, de force, de performance, de ressources …)
L’expérience de la vulnérabilité n Altérations fonctionnelles, fatigabilité, insécurité, conscience de la fragilité, labilité des états physiques et psychiques, réduction du champ des possibles, ralentissement du rythme de vie, changement du regard des autres voire mise à distance… n Mais aussi: n La réflexivité, l’introspection qu’elle sollicite permettent de réaliser les deuils faits ou à faire comme les bénéfices potentiels de cette métamorphose de soi et de sa vie n La vie avec une MC= expérience de la vulnérabilité, source de transformations existentielles et de nouvelles compétences acquises dans l’entretien et le souci de soi… et des autres. *
Le travail de santé n des activités de soin (au double sens du care et du cure) de soi, n de recherche et transmission d’informations sur la maladie et ses traitements, de coopération avec les soignants, n des auto-prescriptions qui règlent le style et l’allure de vie, n processus de compensation par des stratégies opératoires et relationnelles: faire autrement suppose des marges de manœuvre, de pouvoir faire reconnaître ces nouvelles règles de travail: règles techniques, relationnelles et axiologiques n la réorganisation du travail demandé par la prescription médicale/professionnelle pour les ajuster à la fois aux exigences et contraintes différentes sphères d’activités et aux désirs et aspirations du sujet = arbitrages et régulations. *
Les dilemmes de la vie avec une santé altérée n Tensions internes à la vie professionnelle : le travail = une menace pour une santé déjà fragilisée et un instrument de lutte contre la maladie. S’y maintenir est source de difficultés majeures, mais s’en extraire (arrêt maladie) est synonyme de perte des étayages qui aident à affronter l’épreuve de la maladie et des traitements. n Tensions internes au travail de santé : La préservation des ressources physiques (vivre avec modération) peut être un objectif préjudiciable au développement des ressources psychiques nécessaires à la lutte contre la maladie. Et inversement. Interroger la formule « il n’y a pas de bien-être sans bien faire » . *
Régulations et arbitrages n Ces régulations ont une visée adaptative en ce qu’elle permettent de prévenir la menace de précarisation sanitaire et sociale (dégradation de la santé et perte d’employabilité) n Elles ont aussi une visée développementale en cherchant à accroître le pouvoir d’agir du sujet sur lui-même et sur son environnement
Conclusion n La santé est une allure de vie; une allure de vie mise à l’épreuve par l’accident, la maladie, le vieillissement n La santé n’est pas réductible à une affaire privée, personnelle. Elle est le produit du travail de santé, un travail qui convoque autrui. Quand autrui se dérobe, l’usure gagne et les processus d’exclusion se mettent en marche. n Tenir ensemble singularisation des normes et valeurs dans des allures de vie ET développement des conditions du travail de santé, un travail nécessairement collectif. *
Eloge de la vulnérabilité n Portée critique de la vulnérabilité, analyseur des modèles de l’Homme au travail: sujet total = désincarné, décontextualisé, atemporel / sujet vulnérable et capable = le développement de sa puissance d’agir requiert la contribution du milieu et la médiation d’institutions sociales et politiques pour devenir des pouvoirs réels. n Portée politique de la vulnérabilité et des obligations sociales qu’elle implique: la vulnérabilité n’est pas un état mais un contexte d’action et l’agir ne dépend pas que des seules qualités d’un sujet. Il dépend des possibilités de faire du pâtir un agir. Les expériences plurielles de la vulnérabilité peuvent se lire comme produites par diverses formes de privation des conditions de la créativité et de la normativité. n La vulnérabilité est au cœur de la clinique, celle qui vise le développement du pouvoir d’agir. *
n Vivre, travailler avec une santé fragilisée suppose des délibérations internes et des échanges avec les autres pour penser la vulnérabilité (déni collectif); contrer l’exclusion liée à sa méconnaissance; n Réinjecter la question de la maladie dans l’espace public du monde du travail, c’est y réinscrire: la question des limites dans ce monde où domine la prescription à la performance versus excellence, de la précarité fondamentale des pouvoirs humains, de la division sociale de la puissance d’agir, inégalement répartie, de l’inadaptation des normes du travail et de la réduction des marges de manœuvre nécessaires à la personnalisation de l’activité
n « C’est important que le monde du travail reconnaisse les gens handicapés. Ce sont des régulateurs d’humanité dans notre société. On n’est pas des robots ! Dans le monde du travail, il faut juste être efficace, rien d’autre. Ils ne voient pas comment on a été enrichi par la maladie. Ils ne voient que la fonction abîmée, pas les autres. Quand on a été malade, on a une force supérieure à avant. Il y a une richesse des gens malades, une force de vie. Et on met plus d’humain dans nos relations, y compris dans les relations professionnelles. Les malades, c’est une sorte de thermomètre. Les autres dénient, fuient. Mais c’est faux bien sûr, ils ne sont pas invincibles. Aujourd’hui, les gens sont pressurisés au travail, malheureux. Et il est temps d’humaniser le monde du travail !» Corinne
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