II LA CRATION ARTISTIQUE 1 LARTISTE ET LARTISAN

II. LA CRÉATION ARTISTIQUE 1. L’ARTISTE ET L’ARTISAN Y’a-t-il une spécificité de l’activité artistique par rapport à celle de l’artisan ? Chardin, Le Singe-Peintre

« Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l'œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne lui-même. Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. La musique est ici le meilleur témoin, parce qu’il n’y a pas alors de différence entre imaginer et faire (. . . ). Le génie ne se connaît que dans l’œuvre peinte, écrite ou chantée. Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l'œuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre œuvre » . Alain, Système des beaux-arts, (1920), Livre I, chap. 7, Ed. Gallimard

La différence entre l’artiste et l’artisan ne repose pas seulement sur la nature des objets produits. Une différence plus radicale, dans la Manière de faire

(Thèse d’Alain) Contrairement à l’artisant, l’artiste semble libre d’inventer son œuvre au fur et à mesure, sans plan préétabli, dans le mouvement même de la création. Il suit une règle singulière qui ne préexiste pas à l’œuvre, qu’il est en train de créer. Picasso, Le peintre 1967

1 er moment : chez l’artisan, l’idée de la chose à produire précède et règle l’exécution « Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l'œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne luimême. Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. La musique est ici le meilleur témoin, parce qu’il n’y a pas alors de différence entre imaginer et faire (. . . ). Le génie ne se connaît que dans l’œuvre peinte, écrite ou chantée. Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l'œuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre œuvre » . Alain, Système des beaux-arts, (1920), Livre I, chap. 7, Ed. Gallimard.

1 er moment : La production d’un objet artisanal ou industriel résulte d’un idée préalable résulte d’un idée préalab « Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie » . Dans toute production d’objets techniques, le sujet commence par concevoir la forme qu’il devra donner à la matière première. De plus, l’artisan peut prévoir quels moyens devront être utilisés

Dans ce type de production, on peut donc distinguer clairement deux moments : - Une phase de préparation (conception de la forme de l’objet et des moyens à mettre en œuvre); - Une phase d’exécution, où il n’y a plus qu’à appliquer mécaniquement ce qui a été prédéfini.

Mais même dans le domaine artisanal, il peut y avoir une part d’imprévu laissée à la libre création artistique « Et encore est-il vrai que l'œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs »

Toutefois, cette liberté est limitée par les exigences de la fonction que l’objet doit remplir.

« Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaire » Parce qu’il est la réalisation d’un concept défini, l’artefact est reproductible→ production industrielle possible

Une œuvre d’art ne peut être reproduite, elle peut seulement être copiée. On distingue alors l’original de la copie. Unicité et singularité d’une œuvre.

Andy Wharol et la reproductibilité en art Andy Wharol, Marilyn Monroe, 1967 Andy Wharol, Brillo Boxes, 1964

Andy Wharol , Double Joconde, 1963 Andy Wharol , Thirty are better than one , 1963

2ème moment : L’artiste est comme le spectateur de lui-même « Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait » L’artiste est celui qui suit son inspiration et invente ce qu’il fait en le faisant Rembrandt, Autoportraits

ARTISANAT : La règle de production préexiste à l’exécution; l’artisan sait par avance ce qu’il doit faire; ≠ ART : Les règles semblent absentes, ne préexistent pas à la création; l’artiste semble, au moment où il crée, incapable de comprendre et d’expliquer ce qu’il fait précisément et comment il s’y prend.

« Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. La musique est ici le meilleur témoin, parce qu’il n’y a pas alors de différence entre imaginer et faire. Le génie ne se connaît que dans l’œuvre écrite, peinte ou chantée. »

« Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l'œuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre œuvre » . Il n’y a pas de règle du beau qu’on pourrait prendre comme modèle pour produire de belles œuvres. A chaque fois le génie artistique réinvente la règle, et celle-ci n’est connaissable qu’après coup.

« Il faut que le génie ait la grâce de la nature, et s’étonne lui-même » . Le génie est un talent inné, naturel, qui ne peut donc s’apprendre. L’artiste ne peut se réduire à un simple technicien. La maîtrise technique est une condition nécessaire à l’art mais n’en est pas la condition suffisante. Il faut en plus ce génie créatif qui est comme aveugle à lui-même

2. LA QUESTION DU GÉNIE ARTISTIQUE Qu’est-ce qu’un génie ? aptitude remarquable de certains esprits qui rend l’homme capable de créations extraordinaires → « Il a du génie » → par ext. « c’est un génie »

Platon (Ion), le poète crée grâce à un don divin. L’artiste détient un mystérieux privilège : la suggestion divine (inspiration des Muses) le pousse à composer ou à peindre, lui ne connaît rien à ce qu’il fait.

« Le génie est la disposition innée de l’esprit par l’intermédiaire de laquelle la nature donne à l’art ses règles » Ici, « la nature » = le don accordé par la nature à l’artiste qui crée une œuvre originale. Ici, « les règles » = cette œuvre originale de l’artiste génial peut servir de modèle aux autres artistes.

Kant distingue 4 caractéristiques du génie : (1) L’originalité suppose : singularité, unicité de l’œuvre. - Propriété de telle œuvre particulière. - Propriété de l’ensemble de l’œuvre de tel artiste : le style

(2) L’exemplarité L’œuvre peut servir d’exemple et inspirer d’autres artistes.

(3) Le caractère abscond Le génie n’est qu’obscurité à lui-même, il produit sans savoir comment il produit.

(3) L’exclusivité esthétique Il n’y a de génie selon Kant que dans les beaux-arts. En science, toute découverte aurait pu être faite par un autre savant, en principe.

3. LA CRITIQUE NIETZSCHÉENNE DE LA NOTION DE GÉNIE Problème du caractère « irationnel » de la conception kantienne du génie. Thèse de N. : l’artiste génial n’est pas un homme qui crée sous le coup d’ « intuitions soudaines » . On devient un génie à force d’un patient travail. « Les artistes ont un intérêt à ce qu'on croie aux intuitions soudaines, aux prétendues inspirations; comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie, tombait du ciel comme un rayon de la grâce.

Un chef d’œuvre est toujours admiré comme produit fini. On ne contemple jamais que le résultat final sans voir le travail d’élaboration qui a été nécessaire pour en arriver à l’œuvre finie. En réalité, l'imagination du bon artiste ou penseur produit constamment du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé, exercé, rejette, choisit, combine; ainsi, l'on se rend compte aujourd'hui d'après les carnets de Beethoven, qu'il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les a en quelque sorte triées d'ébauches multiples.

Raphaël, La Vierge dans la prairie, 1505 -1506, huile sur bois, 113 x 88 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Le peintre remplit ainsi plusieurs feuillets, cherchant à disposer ces trois figures le plus harmonieusement possible. Et la peinture montre bien qu'il parvint à ses fins. Tout, dans ce tableau, semble parfaitement à sa place; équilibre et harmonie obtenus au terme d'une longue recherche semblent si aisés et si naturels que nous risquerions presque de ne pas les remarquer. Et pourtant, c'est précisément cette harmonie qui donne leur intensité à la beauté de la Vierge et au charme des enfants. Raphaël quatre études pour La Vierge dans la prairie, 1505, plume et encre sur papier, 36, 2 X 24, 5 cm, feuillet d'un carnet d'esquisses. Vienne, Graphische Sammlung Albertina.

L’art véritable ne s’improvise pas mais est au contraire le résultat d’un long et patient effort de maturation des idées qui animent une œuvre. Celui qui discerne moins sévèrement et s'abandonne volontiers à la mémoire Tous les grands hommes sont reproductrice pourra, dans de grands travailleurs, certaines conditions, devenir un infatigables non seulement à grand improvisateur; mais inventer, mais encore à l'improvisation artistique est à rejeter, passer au crible, un niveau fort bas en modifier, arranger » . comparaison des idées d'art choisies sérieusement et avec peine.