REVTIR LINVISIBLE LA RELIGION HABILLE La morale du
REVÊTIR L’INVISIBLE : LA RELIGION HABILLÉE La morale du pli (19 décembre 2019) Nathalie Roelens (Université du Luxembourg) Marie Schiele (Université Paris-Sorbonne), « Dévoiler le drapé : l’imaginaire de la dissimulation vs l’imaginaire de l’enveloppement » REPORTÉ Massimo Leone (Université de Turin), « La fausse modestie : dépliements et repliements du visage »
1. pli-voile-érotisme
Jacques Fontanille, Soma et Séma. Figures du corps, Paris, Maisonneuve & Larose, 2004 Il s’agit bien de la conversion d’une enveloppe fonctionnelle (ayant les mêmes propriétés que l’ « enveloppe » corporelle) en surface d’inscription sémiotique ; et, pour ce faire, le vêtement doit acquérir une plus ou moins grande autonomie par rapport au corps : il y a donc un débrayage qui convertit l’enveloppe purement fonctionnelle en objet sémiotique autonome. […] le vêtement, en effet, doit garder quelques ‘points fixes’, des repères corporels qui interdisent un débrayage complet : s’il s’évase en quelque endroit, il suit plus fidèlement telle autre partie du corps, et les mouvements qui lui donnent forme continuent à faire référence, avec plus ou moins d’indépendance, à l’un de ces quelques points fixes (cou, épaule, taille, etc. ) qu’il se donne pour, justement, continuer à être un vêtement. (p. 150) D’ordinaire un vêtement répond aux « trois P » : « parure, pudeur, protection » . (John-Carl Flügel, Le rêveur nu. De la parure vestimentaire, Paris, Aubier, 1982)
Didi-Huberman, Ninfa fluida. Essai sur le drapé désir, Paris, Gallimard, 2015, p. 27 sq. Abi Warburg, Sandro Botticelli, 1893 « formules de mouvement » « formes fluentes » « accessoire en mouvement » (bewegtes Beiwerk) animation, pathétisme textile, poésie du drapé L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille ? (Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, Seuil, p. 19) Sandro Botticelli, Le Printemps (détail : les trois Grâces), 1482 Ce bas-relief représente une jeune fille épanouie ; elle marche [ein reifes junges Mädchen im Schreiten], et a un peu retroussé son vêtement aux plis nombreux, révélant ainsi ses pieds chaussés de sandales [so daß di Füße in den Sandalen sichtbar werden]. (Sigmund Freud, Le Délire et les Rêves dans la Gradiva de W. Jensen [1906], Paris, Gallimard, 1986, p. 144).
Jacques Derrida, « Parergon » , in La Vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978 Sans ce manque, l’ergon n’aurait pas besoin de parergon, du vêtement ou de la colonne qui pourtant lui restent extérieurs. (p. 69) Le jugement esthétique [selon Kant] doit porter proprement sur la beauté intrinsèque, non sur les atours et les abords. […] Le parergon (cadre, vêtement, colonne) peut augmenter le plaisir du goût, contribuer à la représentation propre et intrinsèquement esthétique s’il intervient par sa forme (durch seine Form) et seulement par sa forme. […] Mais si en revanche il n’est pas beau, purement beau, c’est-à-dire d’une beauté formelle, il déchoit en parure (Schmuck) et nuit à la beauté de l’œuvre, il lui fait tort et lui porte préjudice (Abbruch). [. . . ] Or l’exemple de cette dégradation du simple parergon en parure séduisante, c’est encore un cadre, le cadre doré cette fois, la dorure du cadre faite pour recommander le tableau à notre attention par son attrait. Ce qui est mauvais, extérieur à l’objet pur du goût, c’est donc ce qui séduit par un attrait ; et l’exemple de ce qui dévoie par sa force attrayante, c’est une couleur, la dorure, en tant que non-forme, contenu ou matière sensible. La détérioration du parergon, la perversion, la parure, c’est l’attrait du contenu sensible. [. . . ] dans sa pureté, il devrait rester incolore, dépourvu de toute matérialité sensible empirique. (Ibid. p. 74 -77)
Émile Zola, Au bonheur des dames, Paris, 1883 Henri Gervex, Rolla, 1878, h/t, 175 x 220 cm, Paris, Grand Palais À la soie, la foule était aussi venue. On s’écrasait surtout devant l’étalage intérieur, dressé par Hutin, et où Mouret avait donné des touches du maître. C'était au fond du hall, autour d’une des colonnettes de fonte qui soutenaient le vitrage, comme un ruissellement d’étoffe, une nappe bouillonnée tombant de haut et s’élargissant jusqu’au parquet. Des satins clairs et des soies tendres jaillissaient d’abord: les satins à la reine, les satins renaissance, aux tons nacrés d’eau de source; les soies légères aux transparences de cristal, vert Nil, ciel indien, rose de mai, bleu Danube. Puis, venaient des tissus plus forts, les satins merveilleux, les soies duchesse, teintes chaudes, roulant à flots grossis. Et, en bas, ainsi que dans une vasque, dormaient les étoffes lourdes, les armures façonnées, les damas, les brocarts, les soies perlées et lamées, au milieu d’un lit profond de velours, tous les velours, noirs, blancs, de couleur, frappés à fond de soie ou de satin, creusant avec leurs taches mouvantes un lac immobile où semblaient danser des reflets de ciel et de paysage. Des femmes, pâles de désir, se penchaient comme pour se voir. Toutes, en face de cette cataracte lâchée, restaient debout avec la peur sourde d’être prises dans le débordement d’un pareil luxe et avec l’irrésistible envie de s’y jeter et de s’y perdre. (p. 147) Le rayon des soieries était comme une grande chambre d’amour, drapé de blanc par un caprice d’amoureuse à la nudité de neige, voulant lutter de blancheur. Toutes les pâleurs laiteuses d’un corps adoré se retrouvaient là, depuis le velours des reins, jusqu’à la soie fine des cuisses et au satin luisant de la gorge. Des pièces de velours étaient tendues entre les colonnes, des soies et des satins se détachaient, sur ce fond de blanc crémeux, en draperies d’un blanc de métal et de porcelaine ; et il y avait encore, retombant en arceaux, des poults de soie et des siciliennes à gros grain, des foulards et des surahs légers, qui allaient du blanc alourdi d’une blonde de Norvège au blanc transparent, chauffé de soleil, d’une rousse d’Italie ou d’Espagne. (ibid. , p. 505)
2. Revêtir l’invisible « pudeur impudique » Pudere : pudorité, pudicie, pudicité vs honte < verecondia pudeur : néologisme, XVIe siècle désigne « le rapport privé et intime au corps avec la discrétion imposée, plutôt que le blâme social portant sur le sexe » (p. 60) Rhétorique de la pudeur Euphémismes dans les traités de médecine 2015 Antonio Corradini, Pudicizia (Caecilia Gaetani), 1752, la Sagesse sous la forme d’Isis voilée, sculpture en marbre, Naples, Chapelle Sansevero
Giuseppe Sanmartino, Le Christ voilé, 1775, Naples, Musée de la Chapelle Sansevero Caroline Chariot-Dayez, Ecce Homo, 122 x 150 cm, 2018
Marie-Madeleine, statue en calcaire de la collégiale Notre-Dame d’Ecouis, 14 ième siècle. Man Ray, Érotique voilée, 1933, photo de Meret Oppenheim
Maïmouna Guerresi (photographe italo-sénégalaise) Piero della Francesca, Madonna del parto, fresque, Monterchi, 1460
Maimouna Guerresi, Rûh/ me, 2019 Craig Green, 2019, London
3. Le pli : un défi herméneutique Roland Barthes, Système de la mode, Paris, Seuil, 1967 Tout système qui comporte un nombre élevé de signifiés pour un nombre restreint de signifiants est générateur d’angoisse, puisque chaque signe peut être lu de plusieurs façons ; a contraire, tout système inverse (à nombre élevé de signifiants et à nombre réduit de signifiés) est un système euphorisant ; et plus une disproportion de ce genre s’accentue, plus l’euphorie se renforce : c’est le cas de listes métaphoriques à signifié unique, qui fondent une poésie d’apaisement (dans le litanies par exemple) ; la métaphore apparaît donc comme une sorte d’opérateur « tranquillisant » en vertu de sa structure sémiologique même, et c’est parce qu’elle est métaphorique la Mode, dans les ensembles B, est un objet euphorique, en dépit du caractère comminatoire de la loi arbitraire qui la fonde. (p. 286) « le pliage du monde par les mots » (Denis Bertrand, 2019) Ex-pli-quer (Theodor Adorno : mystère) vs dévoilement (énigme)
Montaigne compare les hautes montagnes du Tyrol et ses profondes vallées cultivées et remplies d’habitants à une « robe que nous ne voyons que plissée ; mais que si elle estoit epandue, ce seroit un fort grand païs que le Tirol. » (Michel de Montaigne, Journal de Voyage en Italie (Par la Suisse & l’Allemagne) en 1580 & 1581, Paris, Librairie Le Jay, 1774, éd. M. de Querlon, p. 88)
4. Le pli : un défi épistémologique (sim-plex / com-plex) Isadora Duncan Paul Valéry, L’âme et la danse, 1924 L’homme et la coquille, 1937 naturans : torsion, hélice, spirale Roger Caillois, Des jeux et des hommes, 1958 : Ilinx (vertige) Madeleine/Carlotta Alors Hugues s’affola ; une flamme lui chanta aux oreilles ; du sang brûla ses yeux ; un vertige lui courut dans la tête, une soudaine frénésie, une crispation du bout des doigts, une envie de saisir, d’étreindre quelque chose, de casser des fleurs, une sensation et une force d’étau aux mains - il avait saisi la chevelure que Jane tenait toujours enroulée à son cou, il voulut la reprendre! Et farouche, hagard, il tira, serra autour du cou la tresse qui, tendue, était roide comme un câble. Jane ne riait plus ; elle avait poussé un petit cri, un soupir, comme le souffle d'une bulle expirée à fleur d'eau. Étranglée, elle tomba. Elle était morte - pour n'avoir pas deviné le Mystère et qu’il y eût une chose là à laquelle il ne fallait point toucher sous peine de sacrilège. Elle avait porté la main, elle, sur la chevelure vindicative, cette chevelure qui, d’emblée - pour ceux dont l'âme est pure et communie avec le Mystère - laissait entendre que, à la minute où elle serait profanée, elle-même deviendrait l’instrument de mort. . . (Rodenbach, Bruges la morte, 1892) Saul Bass, générique de Vertigo, 1958 (par ordinateur)
“ une turbulence (désordre) devient tourbillon (ordre) informe/forme infini/fini Patrick Steen, Vagues dansantes, 2004 Hiroshige, Les tourbillons de Naruto, 1830 Hokusai, Kaijo no fuji, 1834 Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa (神奈川沖浪裏, Kanagawa-oki nami-ura, (Sous la vague au large de Kanagawa), estampe, 25, 7 × 37, 91 cm, 1830
5. Le pli fractal et baroque Ammonite Michiel Jansz. van Mierevelt, Delft, 1566 -1641 Alia Ali, Infinity, 2017 Le chou romanesco Catwalk Queen Caitriona Balfe, octobre 2019 Elga Heinzen, Apparences, 1981 Le vêtement, à force d’être porté, devie seconde peau et qui « une fois retiré garde l’empreinte du corps, pareil à ces dépouilles que certains insectes abandonnent dans la nature » (Pascal Bonnafoux, Elga Heinzen. Permanence du pli, 2011)
Gilles Deleuze, Le pli. Leibniz et le baroque, Paris, Minuit, 1988 « plis de l’âme » (actualisation du virtuel) redoublés par les « replis de la matières » (p. 37) (réalisation) S’il y a un costume proprement baroque, il sera large, vague, gonflant, bouillonnant, juponnant et entourera le corps de ses plis autonomes, toujours multipliables, plus qu’il ne traduira ceux du corps […]. On le voit en peinture, où l’autonomie conquise par les plis du vêtement […] envahissent toute la surface […]. Chez Zurbaran, le Christ se pare d’un large pagne bouffant sur le mode des rhingraves, et l’Immaculée Conception porte un immense manteau ouvert et cloqué. Et, quand les plis du vêtement sortes du tableau, c’est sous la forme sublime que le Bernin leur donne en sculpture, lorsque le marbre porte et saisit à l’infini des plis que ne s’expliquent plsu par le corps, mais par une aventure spirituelle capable de l’embraser. (p. 164) La loi d’extremum de la matière, c’est un maximum de matière pour un minimum d’étendue (p. 166) Francisco de Zurbaran Christ en croix, détail, Séville, Musée des Beaux-Arts, 1627 L’immaculée conception Gian Lorenzo Bernini, Extase de sainte Thérèse, Rome, Chapelle Cornaro 1652
Georges Didi-Huberman, Ninfa moderna. Essai sur le drapé tombé, Paris Gallimard, 2002
Modest Fashion. An international phenomenon in art and fashion, Schiedam, Stedelijk Museum, 21 September 2019 - 9 February 2020 W. Hollar, Hollandse vrouw, 1643, Universiteit Bibliotheek Leiden In the sixteenth- and seventeenth-century Dutch wore a hooded cloak, a coat that could cover them from head to toe. Sometimes men wore them as well. The cloak has an Arabic-Andalusian origin: the ‘haik’
Avant la pose des premières pierres à la frontière, les participants ont réalisé une chaîne humaine formant le « Troisième paradis » (Michael Alesi, archives N. -M. et Ville de Vintimille)
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