LTRANGER ALBERT CAMUS Albert Camus 1913 1960 1913
L’ÉTRANGER ALBERT CAMUS
Albert Camus (1913 -1960) 1913 : naissance de l’écrivain à Mondovi (Algérie). Son père est ouvrier caviste, sa mère une femme de ménage illettrée (Le Premier homme). 1914 : Blessé à la bataille de la Marne, le père meurt à Saint-Brieuc (le fils ne le connaîtra que sous la forme d’un éclat d’obus). Les Camus s’installent dans le quartier de Belcourt, à Alger, et vivent dans la pauvreté : grandmère tyranique, mère retardée, oncle manchot, frère Lucien. Albert Camus est remarqué et aidé par un instituteur, Louis Germain, à qui il dédiera ses Discours de Suède. Dès l’âge de 17 ans, il est atteint de la tuberculose. En lettres supérieures, Camus a pour professeur Jean Grenier à qui le liera jusqu’à la mort une amitié fidèle. Études de philosophie à la faculté d’Alger x pauvreté matérielle, petits boulots (Camus est l’un des exemples du succès de la politique française des bourses sociales).
Série de frustrations et de combats : v Voyage d’horreur à Prague (1936 : profonde crise existentielle) v Découverte des infidélités de sa femme Simone (qui se vend pour avoir de la drogue) v Rupture d’avec le Parti Communiste qui, sous l’impulsion de Staline, renonce à l’engagement anticolonial v Problèmes de santé qui empêchent Camus de devenir prof (pour se présenter à l’agrégation, il faut un test négatif x il est tuberculeux) v Départ pour la France à cause des persécutions grandissantes en Algérie v Entrée dans la Résistance (Camus devient le rédacteur en chef du journal Combat)
La guerre d’Algérie met Camus dans une position intenable (pied noir, intellectuel de gauche engagé x ayant sa mère et d’autres membres de la famille en Algérie) 1951 : conflit avec Sartre et Les Temps Modernes autour de L’Homme révolté 1957 : prix Nobel de littérature à 44 ans (réactions agressives de la presse) 1960 : Le 4 janvier, Albert Camus est tué sur le coup à Villeblevin, près de Montereau, dans un accident d’automobile mystérieux. (Jan Zábrana développe des théories de complot supposant l’implication de la KGB et de la STB tchèque x hypothèse peu probable. ) 2009 : Le président Sarkozy a proposé le transfert des cendres de Camus au Panthéon (pour le 50 e anniversaire de sa mort) x le fils de l’écrivain, Jean, l’a refusé. Ce serait contraire à la philosophie de son père… Sa fille Catherine (aussi écrivaine) a déclaré que son père était claustrophobe et n’aimait pas les honneurs officiels.
Une œuvre très méthodique (littéraire et philosophique) : conçue selon un plan général préétabli : l’auteur travaille sur le tout à la fois (son « laboratoire » = les Carnets). Conviction classique : nécessité de la séparation des genres Essais Romans Pièces de théâtre L’Étranger (1942) Le Malentendu (1944) Caligula (1945) La Peste (1947) L’État de siège (1948) Les Justes (1949) Le cycle de l’Absurde Le Mythe de Sisyphe (1943) Le cycle de la Révolte L’Homme révolté (1951) Le cycle de la Solidarité (Amour, Mesure) Le Premier homme (1994) En dehors des cycles : Œuvre lyrique : Les Noces (1938), L’Été (1954) Œuvre journalistique : Actuelles I, III (1950, 1953, 1958) Nouvelles : La Chute (1956), L’Exil et le Royaume (1957) Adaptations de pièces de théâtre : Calderon, Faulkner, Dostoïevski, Buzzati. . .
Camus est beaucoup plus un moraliste qu’un philosophe « Je ne suis pas un philosophe. Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment il faut se conduire. Et plus précisément, comment on peut se conduire quand on ne croit ni en Dieu ni en la raison ? » Inspiration cartésienne que Sartre décèle dans l’œuvre de Camus : doute méthodique À quoi se fier ? (nos sens sont trompeurs, un mauvais génie nous induit en erreur). La seule certitude dont on dispose = le fait que nous pensons : Cogito ergo sum. À part mon identité de sujet pensant, rien n’est sûr, je dois douter de tout. Chez Camus, le doute méthodique est une réaction à la guerre. Comment vivre et comment se comporter si à chaque seconde on a conscience qu’on doit mourir ? La mort ruine tout ce à quoi nous attachions de l’importance et réduit la vie à une comédie ridicule : effondrement des valeurs traditionnelles face à la mort.
Le Mythe de Sisyphe : un essai qui paraît en octobre 1942 (augmenté en 1948 d’une étude sur Kafka, écrite dès 1938 x interdite par la censure) Ce livre a contribué à assurer à Camus une rapide célébrité. Dans Le Mythe, il aborde la question de l’absurde sous forme de suicide (x meurtre dans L’Homme révolté) : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. » La seule question qui engage à l’action, la seule pour laquelle on se suicide (x Galilée, lui, peut abjurer ses idées) : « Qui de la terre ou du soleil tourne autour de l’autre, cela est profondément indifférent. Pour tout dire, c’est une question futile. En revanche, je vois que beaucoup de gens meurent parce qu’ils estiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. » Camus refuse de voir le suicide comme un problème social : manque d’argent, maladie (x Masaryk) ou clinique (pathologie). Pour lui, il s’agit d’un problème métaphysique : le verre se trouve dans le cœur de l’homme. Le suicidé a l’impression que cela ne vaut pas la peine, que cela n’a aucun sens. Se suicider = avouer qu’on est dépassé par la vie ou qu’on ne la comprend pas.
Un monde explicable (même mal, même naïvement) reste clair et cohérent, c’est un monde familier. x Un monde obscur et incompréhensible relègue l’homme dans la position de l’étranger. L’ABSURDE Ce divorce entre l’homme et la nature = le sentiment de l’absurde (le suicide naît donc du sentiment de l’absurde). Reproche des philosophes professionnels : l’absurde est moins un concept qu’un sentiment. « L’absurde naît de la confrontation de l’appel humain avec le silence déraisonnable du monde » . L’HOMME L’UNIVERS
2 solutions habituelles proposées par des philosophes : le suicide (Schopenhauer) le « saut dans la foi » (Chestov, Kierkegaard, Jaspers, Kafka, Dostoïevski) Camus n'a pas de réponse au pourquoi de l'existence. Le raisonnement absurde laisse cette question en suspens. Le suicide serait un renoncement à affronter le problème de l'existence. Peut-on garder le sentiment de l’absurde et pourtant continuer à vivre ? Volonté de se maintenir sur une sorte de cime et de ne pas sauter (ni d’un côté ni de l’autre). On ne doit échapper à l'absurde ni par l'espoir, ni par le suicide, ni par le consentement. Il s'agit de « vivre sans appel et de mourir irréconcilié » . Conception de l’homme absurde : Il ne parie pas sur le futur et vit dans le présent. Il vit le plus intensément possible (morale de la quantité : « l’homme conscient de la brièveté de sa vie doit regagner en quantité ce qu’il perd en durée » ) Don Juan, l’acteur et le conquérant multiplient des expériences (conquêtes amoureuses ou militaires, rôles), ne se souciant pas de l’au-delà. Sagesse : vivre de ce qu’on a sans spéculer sur ce qu’on n’a pas. Conclusion : « La vie sera d'autant mieux vécue qu'elle n'aura pas de sens. »
« On ne pense que par image. Si tu veux être philosophe, écris des romans. » La vie humaine = le destin de Sisyphe (puni pour manque d’obéissance envers les dieux) : selon Camus, il a trop aimé la vie. Absurde = rouler une pierre au sommet d’une montagne d’où elle retombera et tout sera à refaire. Sisyphe s’exécute, conscient de l’absurde x il ne fléchit jamais, ne s’inclinant pas devant Zeus : « Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son rocher est sa chose. . Il se sait maître de ses jours. » La conscience de l’absurde va réveiller en moi : la liberté, la révolte et la passion. Dernière phrase paradoxale : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. » Une sorte de pari : Pascal parie sur Dieu, tandis que Camus parie sur l’homme.
Héros absurdes dans le théâtre camusien Personnages négatifs qui tirent de la conscience de l’absurde une aspiration au meurtre.
Édition : juillet 1942, dans une France occupée Les éditions Gallimard prennent un grand risque. Une production très limitée : difficultés matérielles, censure de l’occupant nazi et du gouvernement de Vichy Un auteur complètement inconnu x un succès énorme (même aujourd’hui : en 1999, première place au classement des 50 livres du siècle choisis par vote de 6000 Français – entreprise de la FNAC et du Monde) Deuxième place : À la recherche du temps perdu de Proust Troisième : Le Procès de Franz Kafka Considéré comme une œuvre emblématique de son époque. Gaëtan Picon dans Panorama de la nouvelle littérature française : « S’il ne restait comme témoignage de l’homme actuel, dans quelques siècles, que ce court récit, on en prendrait une idée suffisante. » Modèle pour toute une génération d’existentialistes (on le compare à René de Chateaubriand ou à Werther de Goethe qui, eux aussi, ont marqué l’imaginaire de leur siècle).
Genèse : parfaitement vérifiable dans les Carnets Première note concernant le roman : « Récit – l’homme qui ne veut pas se justifier. L’idée qu’on se fait de lui est préférée. Il meurt, seul à garder conscience de sa vérité – vanité de cette consolation. » Autre note : « Un homme qui a cherché la vie là où on la met ordinairement (mariage, situation, etc. ) et qui s’aperçoit tout d’un coup, en lisant un catalogue de mode, combien il a été étranger à sa vie (la vie telle qu’elle est considérée dans les catalogues de mode). » Écho du Mythe de Sisyphe : « Le type qui donnait toutes ses promesses et qui travaille maintenant dans un bureau. Il ne fait rien d’autre part, rentrant chez lui, se couchant et attendant l’heure du dîner en fumant, se couchant à nouveau et dormant jusqu’au lendemain. Le dimanche, il se lève très tard et se met à sa fenêtre, regardant la pluie ou le soleil, les passants ou le silence. Ainsi toute l’année. Il attend de mourir. À quoi bon les promesses, puisque de toute façon. . . » x Camus se défend d’écrire des romans à thèse.
Parentés v Stendhal : Le Rouge et le Noir (Julien se sent étranger à son propre procès) v Dostoïevski : Les Frères Karamazov (les juges qui fabriquent le meurtre de toutes pièces) v Franz Kafka : Le Procès résumé par Camus : « Joseph K. . . est accusé, mais il ne sait pas de quoi. Il tient sans doute à se défendre, mais ignore pourquoi. Les avocats trouvent sa cause difficile. Entre-temps, il ne néglige pas d’aimer, de se nourrir ou de lire son journal. Puis il est jugé. Mais la salle du tribunal est très sombre. Il ne comprend pas grand-chose. Il suppose seulement qu’il est condamné, mais à quoi, il se le demande à peine. . . » Métamorphose : tradition de l’absurde (disproportion dans l’importance des événements, leur nivellement par la conscience – qu’ils soient ordinaires ou fantastiques) v Ionesco : Amédée ou comment s’en débarrasser (les héros sont juste un peu « ennuyés » qu’un cadavre gonfle au point de remplir tout leur appartement) v Sartre : La Nausée
Continuité Les univers des romans camusiens s’interpénètrent : 1) Le fait divers figurant sur un vieux morceau de journal que Meursault lit en prison = Le Malentendu 2) Dans La Peste, on parle d’une « arrestation récente qui avait fait du bruit à Alger. Il s’agissait d’un jeune employé de commerce qui avait tué un Arabe sur une plage » . Réaction de la marchande : « Si l’on mettait toute cette racaille en prison, les honnêtes gens pourraient respirer. »
Cadre spatiotemporel Ø Lieu : Belcourt, quartier ouvrier d’Alger (Camus y a vécu avec sa mère) Grande précision (on peut retrouver les endroits décrits dans le roman) : Salamano promène son chien « le long de la rue de Lyon » , la prison, le Palais de Justice, l’asile de vieillards à Marengo… x Pas de plage (celle-ci se trouve à Trouville, près d’Oran) Ø Temps : disposition chronologique 28 jours pour la première partie du roman (le jeudi où M reçoit le télégramme – le dimanche du drame) Mois de juin (saison de football) et de juillet 1 an pour la seconde partie : 11 mois d’instruction + procès + le temps passé dans la cellule Curiosité : le récit s’étale sur un an x on parle toujours de l’été.
Héros Meursault (pas de prénom, comme chez Kafka) – jeune employé de bureau Traits autobiographiques : adresse, vie avec la mère, études interrompues, métier au bureau… Meursault est-il une sorte de Camus raté ? À cheval entre la tradition et le Nouveau roman : Il a bien un nom, une mère, un métier, un passé x Mais est-ce un vrai personnage ? On ignore tout de son physique ( x bronzé, dégoûté par les peaux blanches) Un personnage déconcertant (paradoxes, contradictions) qui échappe au déterminisme traditionnel : un drôle de fils, un drôle d’amant, un drôle de criminel Un nouveau Christ ou un attardé mental ? Un sage oriental qui parie sur le présent ou un blasé ? Déjà une préfiguration du Nouveau roman (juste un regard, une conscience par laquelle nous abordons le monde). Sartre : « Entre le personnage dont il parle et le lecteur, Camus va intercaler une cloison vitrée. Qu’y a-t-il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre ? Il semble qu’elle laisse tout passer, elle n’arrête qu’une chose, le sens de leurs gestes. Reste à choisir la vitre : ce sera la conscience de l’Étranger. C’est bien, en effet, une transparence : nous voyons tout ce qu’elle voit. Seulement on l’a construite de telle sorte qu’elle soit transparente aux choses et opaque aux significations. »
Étrangeté ? Jamais par rapport à la nature (il y est chez soi, il accepte ses impératifs) – une sorte d’indigène dont le corps est toujours plus important que l’esprit. x Étranger aux codes sociaux : il reste à la fois disponible et distant Pourquoi se marier avec une femme avec laquelle on couche ? Pourquoi promettre une amitié à un voisin ? Pourquoi faire carrière ? Meursault est intelligent (on lui demande des conseils) x il vit dans son propre monde (autisme ? ) Passant ses journées sur le balcon, il ne manifeste aucune volonté de dépaysement. La société le liquide-t-elle parce qu’il est « différent » ? (étranger et étrange) Une menace pour tous ceux qui respectent les codes et les trouvent naturels ? Tout le monde s’énerve que Meursqult refuse d’accorder de l’importance à son discours. Victime d’une société qui a besoin de tout savoir et de tout expliquer. Insaisissable par la psychologie ordinaire : il refuse de s’expliquer ( « C’était à cause du soleil ! » ), de s’analyser… La seule incohérence majeure : pourquoi raconte-t-il alors son histoire ?
Point de vue de Camus « Meursault refuse de mentir. Mentir ce n’est pas seulement dire ce qui n’est pas. C’est aussi, c’est surtout dire plus que ce qui est et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu’on ne sent. C’est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la vie. Meursault, contrairement aux apparences, ne veut pas simplifier la vie. Il dit ce qu’il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt la société se sent menacée. On lui demande par exemple de dire qu’il regrette son crime, selon la formule consacrée. Il répond qu’il éprouve à cet égard plus d’ennui que de regret véritable. Et cette nuance le condamne. . . » Refus de jouer le jeu : « l’histoire d’un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité » Martyrologie (il aurait pu mentir et sauver sa tête) Selon Camus, Meursault est « le seul Christ que nous méritions » . Souci maniaque de la justesse d’expression : il corrige les autres, remarque les incohérences de leur discours… Un procès du langage moderne, de sa banalisation.
Culpabilité Meursault est coupable (il a tué l’Arabe) x il est exécuté pour une toute autre raison (il n’a pas pleuré à l’enterrement de sa mère). Lui-même se sent, certes, coupable, mais à l’instar des « primitifs » (il a rompu l’équilibre du monde, souillé la beauté de la plage, transgressé le principe de la mesure). Absurde Camus : « un roman n’est jamais qu’une philosophie mise en images » L’Étranger illustre le « sentiment de l’absurde » Style : simplicité et limpidité voulues (l’architecture de Le Corbusier, les tableaux de Mondrian) Barthes parle d’une « écriture blanche » , de l’absence de style : brutalité et nudité de l’écriture x c’est également une stratégie. Transcription simple des faits, juxtaposition à la place de la subordination (Il y a la poule et elle pond. . . ), nivellement. Camus parle de son « classicisme » : être classique = dire le moins pour suggérer le plus Meursault = martyre de la litote.
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