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L’orientalisme: Le vice caché de l’Occident http: //www. international. ucla. edu/media/images/tales-2 matrix. jpg Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011 -2020

Comment on arrive à l’Autre 19 e siècle dominé par théories évolutionnistes (l’Autre est inférieure). Deux réactions ‘américaines’ : a) particularisme (Boas; conditionné par son histoire et environnement, l’autre se comporte de façon ‘différente’); b) b) approches psychologiques (Mead, Bateson; conditionné par ses traditions, l’Autre pense de façon différente) Sur le continent, les débats sont conditionnés par le colonialisme. Deux variantes du fonctionnalisme: a) besoins psychologiques et individuels (Malinowski; la ‘société’ répond aux besoins; l’autre est semblable à Nous et donc apte à collaborer); b) besoins structurels (Radcliffe-Brown; Parsons; la société existe pour assurer l’ordre et la transmission de la culture; l’Autre a d’autres problèmes et donc est apte à être hostile) En 1949, enfin, une vision révolutionnaire (Claude Lévi-Strauss, Structures élémentaires de la parenté). Les frontières naturelles deviennent des barrières culturelles, mais arbitraires qui sont mises en valeur uniquement pour permettre et pour faciliter l’échange. L’Autre définit le Nous.

L’orientalisme dans son premier sens se réfère à un mouvement artistique et littéraire surtout répandu en Europe (mais certainement avec des échos ailleurs) dans la 2 e moitié du 19 e siècle. Son sujet, l’Orient surtout dans son sens du Moyen-Orient (le mouvement s’apparentait à l’Égyptologie), ciblait les aspects exotiques de cette région. Pour ces artistes, comme pour les Romains, l’Orient commence aux Balkans. En fait, le critère saillant est culturel, car ce sont largement des cultures musulmanes qui sont « orientalisées » . On ajoute donc des sujets de l’Afrique du Nord, qui n’est aucunement l’Orient pour la France. Pour les Anglais, l’Orient inclut l’Inde. Plus tard, avec l’expansion coloniale vers la Chine et l’Indochine, on y ajoute l’Asie et la Polynésie. L’Orient est une idée, pas une région. On a tendance aujourd’hui à diaboliser ce mouvement pour sa simplification de l’Autre, oubliant que plusieurs aspects des cultures orientales étaient admirés, pourvu qu’ils fussent dénaturés et décontextualisés par la distance géographique ou métonymique (le tapis devient « oriental » ). Combien d’aspects de l’esthétique victorienne et d’empire ont incorporé des «chinoiseries» ? Intérieur victorien, avec tapis, rideaux et tapisserie ayant des motifs orientaux. http: //3. bp. blogspot. com/_o-Jto. Ykb 2 Bc/St 0 m. K-KY 3 h. I/AAAABqc/5 EBFb 1 a 1 q. T 4/s 400/aesthetic_interiors. com+victorian. jpg

Les ambigüités de l’orientalisme sont évidentes dans l’attitude académique envers le soufisme, l’aspect prétendument mystique de l’Islam. Selon Carl Ernst (professeur qui a été ciblé par des groupes de droit aux É-U en 2002 parce qu’il avait osé suggérer que les étudiants universitaires devraient lire le Coran), le soufisme serait un mot adapté par des orientalistes britanniques vers 1850 qui voulaient distinguer la théologie de l’Islam (qu’ils admiraient) de ses pratiques, qu’ils dédaignaient (cité en William Chittick, Sufism: A beginner’s guide, 2008). C’est possible: selon ce dernier, le mot arabe est taçawwuf, et les étymologies du mot ‘soufisme’ sont tellement fantastiques qu’il est facile à croire qu’il s’agit d’un mot arabe qui a été manifestement déformé: on ne peut pas accepter cette religion sans la déformer et l’approprier. En réalité, la distinction théologie/pratique n’est pas en tout cas normale dans la pensée musulmane, et donc taçawwuf se réfère uniquement à un ensemble de pratiques (apparemment inspirés par le beau-frère de Mohammad, Ali) qui seraient cohérentes avec la pensée religieuse. Voilà un exemple de l’Orientalisme qui perdure jusqu’à nos jours: on ‘respecte’ l’Autre, mais on invoque néanmoins des catégories occidentales qui insistent sur une division pensée / action. La pensée ‘théologique’ musulmane est ‘bonne’, mais les pratiques … À gauche, des derviches-tourneurs. C’est l’image avec laquelle le Larousse (on-line) illustre le soufisme; exotique, avec des hommes ‘dénaturés’ par leurs vêtements (des robes) et leur agir répétitif (et donc incapable de la créativité). http: //www. larousse. fr/encyclopedie/divers/soufisme/92823

Les manifestations de l’orientalisme ne sont pas limitées à la haute culture. L’œil des orientalistes se penche à des éléments décoratifs du quotidien ou, comme nous le verrons, se limite à souligner les aspects plus exotiques du quotidien oriental : ses bazars de rue, ses écoles, ses prières. On ne célèbre pas ses idées. L’Orient importé en Occident doit être dénaturé : les détails de leur’ quotidien crasseux et sensuel sont soulignés. On admire aussi des expressions hautement abstraites, telles que les lignes et formes géométriques de tapis orientaux, ou des versions orientales de thèmes déjà établies dans l’Occident, telles que des motifs floraux (souvent colorés bleu) sur la porcelaine. L’Orient est acceptable tant qu’il est ‘culture’ et non pratique: Léo Délibes (Lakmé, 1881, avec le fameux ‘Duo des fleurs’ que British Airways a utilisé dans une série de publicités des années 1980 s), Georges Bizet (Le pêcheur de perles, 1863, avec l’aria ‘Au fond du temple saint’) et Jules Massenet (Le roi de Lahore, 1877). La publicité iconique de British Airways (1989; les individus portant des pancartes colorées s’assemblent pour composer les éléments singuliers d’un visage, qui finissent par s’unir pour composer le visage entier) n’a rien d’oriental, mais la musique de Délibes arrangée par Yanni et par Malcolm Mc. Laren (gérant des Sex Pistols) est totalement orientale.

Il ne faut pas oublier l’influence énorme du Japon (le japonisme) et de la Chine sur la porcelaine (en Anglais, «china» ) et sur le design européen. http: //www. creativepossibilitiesuk. com/userimages/chinoiseries. JPG Porcelaine japonaise http: //www. benjanssens. com/2007/maastricht/73_porcelain-jar. jpg Porcelaine chinoise, qui est simplement ‘china’ en anglais, car les Chinois ont inventé le processus de vitrification qui la distingue des autres formes de poterie. http: //www. designyourowndraperies. com/cm _files/store/product_fullsize/Mancelona-Porcelain-lg. jpg Même des textiles qui allaient devenir populaires auprès du style liberté (Art nouveau) sont influencés par les motifs orientaux exportés vers l’Occident avec la porcelaine. http: //www. e-yakimono. net/guide/kato-hajime-porcelain-GB. jpg

N’oublions pas que la rivalité Occident-Orient n’était aucunement idéologique pour les Romains. Les Romains étaient au 1 er siècle av. J-C. déjà riches et puissants. Ils étaient intéressés par l’échange avec les régions de l’est, pas seulement pour des textiles (la Route de la Soie, ouverte un peu avant le 1 er siècle av. J-C. , mais aussi pour l’argent. L’unité de leur empire (qui n’était pas encore un empire politique, mais uniquement un arrangement mercantile) était garantie par l’usage d’un seul système d’échange monétaire. Pour cela, ils avaient besoin du métal. Le bronze (ses composants) est commun en Italie, mais l’argent est rare. L’Inde avait de l’argent. Les Romains voulaient établir des rapports mercantiles à l’est, mais ils étaient bloqués par la Parthie (Iran antique) et les dynasties diverses qui contrôlaient les peuples connus par ce nom. Ces empires rivaux de Rome bloquaient l’échange et imposaient des tarifs que les Romains ne voulaient pas payer.

N’oublions pas que les Romains féminisaient la civilisation « faible » pour souligner l’importance des vertus « masculines » et « fortes » nécessaires pour la soutenir. Depuis qu’ils avaient adopté l’image du corps social au cours du 3 e siècle av. J. -C. , ils sexualisaient régulièrement la vie politique : on « pénétrait » une ville; les femmes étrangères étaient des « femmes de petites vertus » , des prostitués, tandis que les femmes romaines étaient pudiques (voir l’histoire de Lucrèce que je décris dans le PPT La civilisation romaine). Auguste-Octave, par exemple, avait lancé l’accusation la plus insultante possible à son rival Marc-Antoine: le 1 er janvier, 33 av. J. -C. , Octave (son nom à l’époque) accuse Marc-Antoine d’être un esclave de son épouse « orientale » , Cléopâtre. On ne sait pas si les deux avaient formalisé leur union, mais ceci est la pire insulte possible pour un Romain: soumis à une femme qui l’avait séduit par ses arts sexuels (tandis que l’oncle d’Octave, Jules César, l’avait traité de « concubine » , car il est resté marié à son épouse romaine). Le banquet de Cléopâtre (orig. en Hollandais), c. 1675, Gerard de Lairesse (d. 1711), Rijksmuseum, Amsterdam. La propagande d’Octave a tellement influencé l’histoire que même 17 siècles plus tard, l’artiste montre Marc Antoine subordonné à Cléopâtre qui est clairement dominante. Marc Antoine est assis comme une femme. À droite, un Romain assis « normalement » . Mosaïque tunisienne, Musée Bardo, Tunis

L’orientalisme comme mouvement littéraire et artistique du 19 e siècle a certainement des antécédents, cars les Vénitiens, parmi d’autres empires européens, étaient en contact avec l’Orient depuis des siècles (on pense à Marco Polo, Livres des merveilles du monde, 14 e siècle, qui décrit ses aventures sur la Route de la soie et dans la cour de Kublai Khan; ce livre devient un trope pour l’aventure orientale, par exemple le roman d’Umberto Eco, Baudolino, 2000). Voir Chris Bongie, Exotic Memories: Literature, Colonialism, and the Fin de Siècle, 1991, qui parle de l’Orient et des œuvres de Jules Verne, Pierre Loti, Victor Segalen, Joseph Conrad, etc. , et David Lucking, Conrad’s Mysteries: Variations on an Archetypal Theme, 1986, qui explore Conrad et la dimension mythique et même ésotérique dans ses oeuvres. Au 20 e siècle, l’ «orientalisme» devient synonyme pour la diabolisation et l’asservissement de l’Autre, utilisant les techniques psychoculturels (appelé, parfois, l’hégémonie) de la gouvernance moderniste: manipuler les images et les signifiés du quotidien pour créer et renforcer une hiérarchie de valeurs qui souligne tacitement la puissance et la domination de l’idéologie occidentale. http: //www. cais-soas. com/CAIS/Images 2/Maps/Silk. Road 1. jpg

Les Romains se disent les descendants des réfugiés de Troie, mais il y a un message subtil (pour nous; pas pour les Romains) dans cette affirmation: Rome a conquis Grèce, qui avait conquis Troie était donc doublement faible. La civilisation romaine a hérité cet héritage faible. Il faut donc lutter contre la faiblesse innée avec une main forte: le mythe fondateur est une incitation à mettre en place une culture politique stricte. Rome, dans l’imaginaire du 19 e siècle, est donc un tyran impérieux (mais qui paradoxalement tolère les différences culturelles de ses citoyens). Par contre, les Grecs sont « démocratiques » (mais qui paradoxalement ne tolèrent pas les personnes qui ne partagent pas leur culture de la ville; on les traite d’incultes, barbaros, barbare). Bref, pour les idéologues du 19 e siècle, l’attitude grecque envers l’Autre est plus congéniale de celle des Romains. À gauche, les errances d’Énée avant de se réfugier en Latium.

L’orientalisme est lié au nationalisme et au colonialisme du 19 e siècle (en France, il est alimenté par l’expédition égyptienne de Napoléon, 1798 -1801, qui trouve la Pierre de Rosette). L’institutionnalisation de ces systèmes de contrôle politique a certainement contribué à la mise au point de ce langage esthétique, mais l’Orient a également occupé un espace important dans l’imaginaire occidental pour les Romains, dont le mythe fondateur retrace leur généalogie à Troie (l’Orient pour eux). En poussant vers le nord, les Romains ont rencontré des peuples germaniques: selon eux, guerriers vaillants, mais sauvages (salvaticus, silvaticus, de silva, forêt). Par contre, les civilisations de l’Orient rivalisaient Rome sur les plans culturels et militaires. Donc, le nord est la nature (inclus les « hommes de la forêt » ), mais l’est un lieu civilisé et donc admirable (voir PPT La civilisation romaine). Bref, ils admirent et craignent l’Orient. Rome en fait survie dans l’Orient jusqu’à 1453. La Mésopotamie, selon le Tabula Peutingeriana, une copie européenne du 13 e siècle d’une carte romaine du 4 e siècle. On voit écrit « fin des limites romaines » en bas à gauche, marquées par le fleuve Tigre. (https: //www. google. ca/search? q=Tabula+Peutingeriana&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0 ah. UKEwi. Hrfvbz. Pb. SAh. Vj 7 o. MKHd. M 1 C 1 MQ_AUIBig. B&biw=1366 &bih=599&dpr=1#imgrc=vyuq. VR 0 HQm 1 LFM: &spf=192)

Les idéologues de la 2 e moitié du 19 e siècle tracent le nationalisme européen à la Grèce plutôt qu’à Rome: les Grecs étaient prétendument ethniquement homogènes et donc plus aptes à incarner le mythe « national » de la centralisation étatique, et donc ils sont un modèle plus apte pour les technologies hégémoniques du nationalisme du 19 e siècle, où les Européens découvrent que le contrôle politique par la manipulation sémantique et sémiotique de la culture du quotidien est plus efficace que la matraque. Par contre, la communauté politique romaine est ethniquement diverse. Les Romains sont vus comme pratiques et factuels, tandis que les Grecs alimentent l’image des frontières de l’Occident intellectuel. Bref, au 19 e siècle, on considère que la Grèce soit le « berceau » des États-nations contemporains. Par exemple, comparons le Commentaires sur les Guerres des Gaules de Jules César (souvent nommé La Guerre des Gaules, De Bello Gallico; c. 55 av. J. -C. ) avec Hérodote, Histoires (diapo suivante). Le premier est admiré pour son Latin simple sans ornementation rhétorique et pour son ton objectif. Bien sûr, c’est un œuvre de propagande conçu pour agrandir la réputation de César, mais dans l’ensemble les historiens ont une opinion favorable: César est suffisamment neutre pour permettre aux historiens aujourd’hui d’utiliser le livre comme une source historique. Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César, Lionel Noel Royer (1899)

Par contre, Hérodote (Histoires, Tome I: 199; c. 450 av. J. -C. ) produit un tome en 9 livres, chacun basé sur une des neuf Muses, une stratégie narrative qui devrait nous alerter à la matrice mythologique derrière les observations prétendument « historiques » . Dans un passage cité à maintes reprises, il décrit une coutume où les futures épouses babyloniennes sont vendues à des inconnus. Les femmes belles sont achetées en premier, mais les moins mignonnes trouvent un homme seulement grâce aux dots financées par les revenus des belles. Bref, Hérodote décrit l’Orient comme un lieu sexualisé où les femmes sont traitées de prostituées. En fait, le coupable n’est pas Hérodote, mais les victoriens qui saisissent seulement les passages plus piquants. C’est vrai qu’Hérodote est parfois étonné par la sexualité orientale, mais la majorité des passages ciblet les détails non sexuels du quotidien. Voir, https: //www. romanroadsmedia. com/materials/herodotus. pdf, 4 -01 -2019. Edwin Long, 1875, The Babylonian Marriage Market; la prétendue véracité de mythe est supposément attestée par les détails, qui sont fidèlement copiés des artéfacts archéologiques. Considérée « véridique » grâce à ces détails, l’histoire de base est complètement inventée.

Cet exemple d’orientalisme grec alimente une notion qui devient iconique dans l’historiographie occidentale de Mésopotamie: la prostitution sacrée. Non seulement les Orientaux ont-ils des cultes dédiés à des déesses comme Inanna (sumérienne) ou Ishtar (akkadienne), on les accuse de pratiques sexuelles honteuses. Chaque temple aurait ses prostituées. Pire, les Orientaux seraient censés intégrer la prostitution au cœur de leurs rituels religieux: dans une perspective chrétienne, ceci contamine le sacré ‘haut’ avec l’aspect plus bas du corps. Source? Toujours Hérodote. C’est une conclusion trop hâtive. Les temples mésopotamiens, à l’époque où il n’a pas encore d’argent comme système pour comptabiliser les taxes, utilisent le devoir religieux pour assurer que les paysans fournissent un tribut à la ville. Les temples sont des centres névralgiques de l’économie, et donc fournissent aux orphelines (qui vivent au temple) des dots. De plus, des femmes sans statut patrilinéaire orphelines ou simplement pas mariées (karkid [Sumérien] ou harimtu [Akkadien]; voir Julie Assante, https: //www. academia. edu/1771106/_The_kar. kid_harimtu_Prostitute_or_Single_Woman_A_Reconsideration_of_the _Evidence) ont le droit d’être propriétaires, de signer des contrats, et de léguer leur patrimoine. Une naditum (une nonne, Akkado-babylonien; M. Stol, « Women in Mesopotamia » , Journal of the Economic and Social History of the Orient 38(2): 123 -144, 1995) a les mêmes droits tant qu’elle n’a pas d’enfants. Sans doute ce sont ces femmes autonomes (mais pas forcement chastes, comme prétendrait la tradition chrétienne) qui seront vues comme « prostituées » pour alimenter le mythe de la sexualité orientale non-contrôlée (voir C. Faraone & L. Mc. Clure (eds), Prostitutes and Courtesans in the Ancient World, U. Wisconsin Press, Madison, 2006). À gauche, plaque en terre cuite mésopotamienne, 2 e millénaire av. J. -C. Il n’y a aucun indice dans telles représentations que le sexe fût lié aux temples ou aux rites sacrés. Les prostituées avaient un statut relativement bas, mais une femme n’avait pas nécessairement un statut inférieur uniquement parce qu’elle était sexuellement active. Le statut principal de la femme est défini par son rapport à un ensemble (lignage) patrilinéaire, pas par sa sexualité. Selon moi, une prostituée n’avait pas un statut beaucoup plus bas qu’un paysan pauvre. Voir Lanoue, « Gilgamesh » , Anthropos 111(2) pour une analyse du féminin dans l’épopée.

Malheureusement, le mouvement New Age contemporain nourrit cette sexualisation de l’Orient en réinterprétant le faux mythe de la prostitution sacrée comme « témoignage » de la primauté du principe féminin et maternel / matrilinéaire en Orient qui a été écrasé par l’Occident patriarcal. En exauçant la sexualité comme l’affirmation de l’autonomie et de la liberté (une interprétation totalement moderne), les adeptes de ce mouvement enracinent l’image de la femme (Orientale, ou parfois scandinave-païenne) comme une entité hypersexuelle, tandis que le christianisme cache ou contrôle la sexualité féminine. Ici, une représentation (contemporaine) de Inanna (appelée « Nina » ) avec « ses » symboles, un lion et des serpents: « A very ancient mother Goddess figure in Mesopotamia, Nina has many powers, including healing, herb magic, meditation, dream interpretation and helping civilization along when needed. Today we will be focusing on Her healthful attributes and knowledge of herbs to improve well-being for the winter months”; https: //journeyingtothegoddess. wordpress. com/tag/inanna/, 2 -01 -2016. Pour les Sumériens d’Uruk, elle n’est pas liée à la santé; plutôt, elle réunit la ville (son temple) avec la steppe sauvage (les lions), car c’est justement cette tension géographique qui est au coeur de leur économie. Elle n’est pas autant mère (elle n’a que deux garçons semi-divins sans grande importance dans le panthéon) qu'une princesse consorte hypersexuelle. Le nom “Nina” n’est aucunement apparenté avec Inanna, car le sumérien est une langue isolée. Pour nous, Nina est sans doute dérivée de ‘Catherine’.

En 1853, un Irakien chrétien d’origine assyrienne Hormuzd Rassam, éduqué en Angleterre et engagé par l’archéologue anglais A. H. Layard, a découvert la bibliothèque du roi néoassyrien Assurbanipal (c. 669 – 631 ou 626 av. -J. -C. ), dont le palais était à Ninive, Mésopotamie (aujourd’hui, un quartier de Mossoul, Irak, sur les rives du Tigre). Layard est à Londres au moment de la découverte. Rassam est responsable des fouilles. Parmi les tablettes d’argile, dans une langue inconnue écrite en cunéiforme, il trouve une version de l’Épopée de Gilgamesh, texte akkado-babylonien basé sur les exploits de Bilgamesh, 5 e roi d’Uruk, ville sumérienne, l’Erech biblique. On découvre plus tard que les premières versions de ce récit s’inspirent de textes sumériens du 3 e millénaire – une histoire, donc, qui à l’époque d’Assurbanipal est déjà connue depuis 2000 ans, et qui est 1000 ans plus vieille de la version biblique. C’est le premier texte littéraire de l’histoire. C’est une découverte phénoménale, car l’épopée contient une version du déluge biblique, qui démontre que la version israélite n’est qu’une copie d’un texte beaucoup plus ancien. Le récit, ayant deux sources, est possiblement inspiré de faits vrais. Le texte fondateur du christianisme est oriental.

Vingt ans plus tard, George Smith, un simple commis au British Museum, commence à déchiffrer ces signes cunéiformes. Prolétaire d’origine, il meurt dans l’oublie, mais Rassam, désormais vivant en Angleterre et directeur de plusieurs fouilles pour le Musée, est accusé par le nouveau directeur E. A. Wallis Budge d’être incompétent et possiblement un voleur qui vendait des objets archéologiques. Rassam fait procès en 1893. Il gagne une victoire pyrrhique, car le tribunal le dédommage seulement 50 livres, une insulte. Sa réputation est ruinée. Il se retire, il ne peut plus publier ses livres, son nom est rayé des guides du musée. Pour l’histoire officielle, Rassam serait seulement un « employé local » , « a common sort of Levantine » , comme a témoigné un professeur allemand au procès. Deux ans après la mort de Rassam, Budge publie un livre sur l’histoire de l’assyriologie où il cite le commentaire dédaigneux et raciste. Voilà l’autre visage de l’orientalisme: un vecteur de l’hégémonie, où le savoir scientifique ne peut pas être attribuées aux « Orientaux » : la « vraie » science « appartient » à l’Occident.

L’Orientalisme d’Edward Said (1978) fait le point sur ces tendances: s’inspirant des notions d’hégémonie d’Antonio Gramsci (où la culture du banal véhicule la domination politique) et de Michel Foucault (qui note l’importance du discours dans la politisation des savoirs), Said propose un bilan: attitude condescendante; prétendue supériorité morale; sexualisation et féminisation de l’autre. Ses idées aident à comprendre la domination coloniale, qui n’est pas seulement un système d’exploitation économique, mais de domination culturelle (est-ce significatif que l’empire oriental le plus proche à l’Europe, l’Empire ottoman, était en fait beaucoup plus tolérant sur le plan religieux comparé aux Européens? ). En ciblant les attitudes implicites dans certains textes, Said nous aide à comprendre la façon dont le pouvoir est véhiculé en Occident (culture: Gramsci; discours: Foucault). Dans les diapos qui suivent, je tente d’analyser le langage visuel de l’Orientalisme. Plusieurs artistes semblent admirer l’Orient; cependant, il y des efforts de tracer des différences entre ‘eux’ et ‘Nous’. À gauche, Mata Hari (Margaretha Zelle), femme hollandaise qui s’est transformée en danseuse exotique, courtisane et espionne allemande (selon les Français, qui l’ont fusillé en 1917) après un séjour en Indonésie. Dès lors, elle est symbole du pouvoir séduisant de l’orient: elle a été accusée d’avoir utilisé ses charmes « orientaux » pour extraire des informations de ses nombreux amants pour les transmettre aux Allemands.

Gyula Tornai – The Connaisseurs (1892)* L’Orientalisme se distingue surtout par son sujet, l’orient exotique. Les soustextes parfois appuient la position extrême de Said, ; ici, on voit des «Orientaux» qui visionnent une œuvre orientaliste, perplexes et émerveillés, comme si la dimension visuelle leur était totalement inconnue. On voit, également l’utilisation de couleurs fortes et de soleil lumineux, et une attention particulière à l’habillement des «Orientaux» , des traits qui vont devenir la marque de commerce de ce style. * Notez que les titres qui suivent sont parfois approximatifs, car les œuvres sont parfois connues sous plusieurs noms, qui, souvent, ont été attribués par des marchands et des galeristes, plus sensibles au marché qu’au sujet.

Jean-Léon Gérôme, Le marché d’esclaves (1871) L’impact de cette représentation, à part de la belle femme nue à gauche, est certainement dû au dégout provoqué par l’esclavagisme, car des Anglais se félicitaient pour avoir aboli l’esclavage dans les années 1820 s (1853 pour l’Europe). Ici, nous voyons une première stratégie pour représenter l’Orient: se concentrer sur une dimension exotique pour la sexualiser. Un 2 e sous-texte, pour les érudits qui connaissent les affirmations d’Hérodote sur l’esclavage sexuel en Babylonie: l’Orient est immobile, inerte, et ses prétendues traditions ne changent pas.

Leopold Carl Muller, Primary School in Upper Egypt (1881) Notez que l’artiste présente une activité banale, mais très valorisée en Occident, l’éducation, pour souligner les conditions précaires et primitives (représentées par le bâton du professeur). C’est l’époque où on établit, en Europe, l’idée de l’éducation standardisée et «scientifique » .

Jean-Léon Gérôme, Charmeur de serpent (1880) Plusieurs ont noté la nudité du petit gars pour suggérer que l’artiste voulait proposer ou souligner une vision pervertie de l’Orient. Par contre, notez le détail exquis de la calligraphie arabe que l’artiste a choisi d’immortaliser. Même sans connaitre les détails de la vie de Gérôme, ceci suggère une certaine admiration pour le sujet «oriental» . Cependant, cette admiration sans doute sincère n’empêchait que ces artistes et écrivains sexualisent l’Orient. Cela faisait partie inconsciente de l’économie politique de l’esthétique de l’époque.

Gérôme, Charmeur de serpent (détail) Une autre ambigüité: comme est souvent le cas avec le style orientalisant, les détails naturels ou architecturaux semblent dominer les personnes. Ceci est une autre stratégie visuelle de la culture de l’orientalisation, c. -à-d. , présenter les individus dans une position subordonnée et assujettie à leur environnement.

Vasily Vereshchagin, Dervishes in Tashkent (c. 1880) Une variation de la technique précédente, où l’individu est soit dominé, soit caché par ses vêtements ou par les poses que l’artiste a choisi pour ses sujets. Les visages doublement cachés (par les poses et par les chapeaux) suggèrent que les Orientaux n’ont pas le même concept d’individualité.

Vasily Vereshchagin, Throne Room at the Shah Jahan Fort in Delhi (c. 1885) • Notez ici l’utilisation d’une perspective très bizarre, où l'axe central de l’espace sous les arches disparait vers l’arrière-plan de façon conventionnelle (selon les canons de la perspective linéaire), mais le toit suit toute une autre géométrie, et l’édifice est orienté sur un troisième axe, pour créer un effet visuel plutôt dérangeant, un genre de tension subtile qui devient une métaphore apte pour la façon dont l’Occident voit l’Orient.

Fabio Fabbi, Il sogno dell’arabo (Le rêve de l’Arabe, c. 1890) Un autre sujet préféré des orientalistes: représenter l’utilisation de la drogue et la recherche exagérée du plaisir; la décadence, la débauche. Notez l’attention exquise aux détails des vêtements (qu’établit un contraste avec la condition physique un peu dégénérée de l’homme, représentée par ses mains) et le fait que les débauchés sont présentés comme passifs. Notez aussi le contenu de son rêve, manifesté par les visages de jeunes filles à droit.

Pasquale Liotta, L’effetto dell’hashish (1875) Ici, l’effet du sujet «osé» est renforcé par la pose et par les vêtements un peu féminins

Jean Lecomte du Nouÿ, La porte du sérail, souvenir du Caire (1876) Il s’agit de la garde du harem du Sultan, mais notez les poses langoureuses et féminines des soldats, qui établissent un contraste avec la collection impressionnante d’armes; toujours la tension entre deux extrêmes: derrière l’apparence d’inertie, l’agression potentielle de l’Orient « irrationnel » .

Du Nouÿ, détail L’attention portée aux détails trop soignés établit la distance avec les normes européennes; pour des soldats, ceci suggère un manque de discipline.

José Villegas y Cordero, Le fumeur oriental (1875) Un autre drogué dans une pose langoureuse

Nicola Forcella, Le fumeur de narguilé (1880 s) Une autre stratégie occidentale est de suggérer que le plaisir un peu perverti est peut-être un peu trop important pour ces personnes; l’homme en arrière-plan qui se donne au plaisir banal de boire un thé normalise (et notez la théière à gauche) le plaisir illicite du fumeur décadent. C’est la vie normale: thé ou hachich, c’est la même chose en Orient.

Nicola Forcella, The Hookah (1876) Un autre fumeur tranquille, mais notez la pose excessivement complexe de l’homme, suggestive d’une certaine décadence et même une condition primitive, car elle communique qu’il a perdu le contrôle de son corps, ou qu’il soit incapable de réagir rapidement: l’inertie orientale.

Stephen Wilson Van Schaik, Turkish Idlers (1880 s) Des flâneurs dans un rêve quasi narcotique (détail). À droit (en dehors du cadre présenté ici) il y a un sheesa (narghileh) et leurs pantoufles qu’ils ont enlevées (un sous-texte de perte, donc pire de la sauvagerie des «vrais» primitifs sans chaussures).

William Hogarth, Cruelty 1 et 2 (1750 s) Notez, qu’à différence de la dissolution et décadence orientale, le même phénomène en Occident (dont Hogarth est l’interprète le mieux connu) souligne la violence et l’agression sociale, le désordre. L’aspect paisible et passif des débauchés orientaux suggère que leurs vices ne soient pas un échec de la société, comme suggère Hogarth, mais qu’elles sont innées au caractère oriental.

Hogarth, Beer Street (gauche), Gin Lane (droit) (1750 s) La débauche en Occident est une forme d’agression sociale. Peut-être les orientalistes admiraient la débauche passive de l’Orient. Le manque d’agression dans les représentations de l’Orient souligne la normalité du kayf, le loisir et la détente. À noter que le loisir oriental est certainement lié à un rythme d’une vie non industriel, tandis que Hogarth vivait au plein milieu de la révolution industrielle, qui impose ses rythmes farouches sur le corps et sur l’âme.

Gustav Bauernfeind, Market in Jaffa (1887) Notez que les détails dominent les personnes, que l’impression est d’un chaos, et que les figures principales, les femmes en blanc à bas à gauche, ont le visage caché

Ludwig Hans Fischer, An Arab Caravan (1903) • Ici on voit non seulement l’accent sur les détails qui dominent et éclipsent les personnes, mais aussi l’utilisation d’un autre technique préféré des orientalistes, l’illumination contrejour (qui est quasiment l’inverse du chiaroscuro italien), qui effectivement utilise la lumière pour exagérer l’importance de l’environnement aux dépens des personnes.

Jean-Léon Gérôme, Arabes traversant le désert (1870) Toujours l’illumination contrejour, augmentée par les voiles qu’ils portent et leur peau foncée. Le thème de mouvement, un préféré des orientalistes, suggère une condition sociale déracinée

Charles Théodore Frère, La caravane près du Caire (1875) La même chose, mais avec une illumination contrejour tellement exagérée qu’elle annule totalement les personnes. Le mouvement et le déplacement de personnes sont un autre thème préféré, dont le sous-texte suggère le manque de racines (un passé flou; les personnes donc vivent dans une dimension atemporelle) et la faiblesse de la dimension civilisée qui pousserait les Arabes à se déplacer continuellement: le nomadisme souligne leur manque de villes et donc de civilisation.

Léon Belly, Pèlerins allant à La Mecque (1861) • Illumination contrejour, masse humaine un peu chaotique, la primauté accordée aux chameaux (et donc de la nature aux dépens de l’humain), et le mouvement, l’organisation spatiale des personnes en forme de flèche qui vise et menace le public européen qui visionne cette toile – tous des techniques et des thèmes préférés des orientalistes ici unies dans un seul portrait, et la raison pour laquelle on appelle cette illustration la plus grande du genre.

Jean-Léon Gérôme, Le bain du harem (1876) Les femmes sensuelles et langoureuses, avec un esclave mâle qui en effet domine les femmes, en dépit de son statut d’esclave, par sa taille exagérée. http: //lili. butterfly. free. fr/ingresweb/gerome. jpg

Léon Belly, Femmes fellah au bord du Nil, 1863 Illumination contrejour, visages cachés, et l’accent sur les fesses et les seins nus suggèrent une condition sensuelle et donc un peu sauvage.

Frederick Arthur Bridgman, The Siesta, 1878 Le féminin comme métaphore de l’Orient, dans une pose très sexuelle. La femme langoureuse séduit toujours, même quand elle dort. Ceci suggère la qualité primordiale et incontournable de la sensualité orientale.

Jean-Léon Gérôme, Le bain maure, 1870 s La femme dominée par l’esclave suggère que les hiérarchies du pouvoir ne sont pas claires. En même temps, il réussit à suggérer une tendresse entre les deux, unis par ce geste simple. Ici, on voit un autre technique préféré des orientalistes, présenter la femme du dos plutôt que du devant. Ceci met l’emphase sur les fesses et non sur les seins symboles du rôle féminin de nourrice et donc de créatrice (dans un sens) de l’être humain. Le pouvoir sexuel inné des femmes orientales doit être dompté, et donc elles sont souvent présentées dans cette pose de soumission qui conserve l’odeur de la sexualité.

La petite baigneuse, ou l’intérieur du harem (Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1838) Parfois, l’appropriation se fait recycler; ici, l’original d’Ingres, La Baigneuse de Valpinçon, 1808 http: //www. veritemensonge. com/upload /items/tn_12 -La_baigneuse_de_Valpincon_817. jpg Le dos tourné est une stratégie préférée pour représenter les odalisques (du Turc odalik, femme de chambre); dans ce contexte, cacher les attributs féminins ou de les exposer seulement en arrière-plan, ne fait que les souligner, de surchauffer l’imagination érotique.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, L’odalisque et l’esclave (1839) (en arrière-plan, un gardien); quand la femme est présentée du devant, elle est souvent dans une pose langoureuse, mais son pouvoir érotique est contrôlé par le soldat vigilant en l’arrière-plan http: //www 2. oakland. edu/users/ngote/images-full/ingres-odalisque-louvre. jpg

Eugène Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement, 1834 (les femmes dominées par un esclave); ici, elles ne sont pas présentées dans des femmes particulièrement langoureuses, mais elles suggèrent néanmoins la décadence http: //www. artchive. com/artchive/d/delacroix_algiers. jpg

Mariano Fortuny Marsal, Odalisca, 1862 (la menace indistincte; le musicien est un homme qui doit rester impuissant devant les charmes dévoilées de la femme) http: //www. latribunedelart. com/Expositions_2003/Mariano_Fortuny_-_Odalisque. JPG

Luis Riccardo Falero, L’enchanteresse (1878) Une sensualité naturelle et donc plus menaçante que la séduction classique et «pensée» ; l’innocence du visage et la nudité innocente cachent (à peine) un pouvoir érotique formidable.

Jean-Léon Gérôme, Une Almeh, 1882 La femme européenne comme odalisque; en fait, une grande partie des femmes du harem venait de l’Europe orientale. Même cette femme, pas trop belle selon les canons classiques, dégage un pouvoir et une confiance en soi qui démentent son statut officiel de la personne qui est devenue victime de la culture patriarcale. Mais elle n’est pas concubine; elle est une almée: chanteuse, poète, femme de salon, pas suffisamment belle pour le rôle de femme de harem.

Lecomte du Nouÿ, L’odalisque, 1888 Ses cheveux rouges la marquent comme Européenne; la femme blanche (l’Europe) menacée

Fernand Boucher, Odalisque blonde, 1752 (l’Europe menacée; il s’agit d’un portrait de Louise O’Murphy, maitresse de Louis XV, c. 1752)

Eugène Delacroix, L’odalisque, 1857 http: //www. lyons. co. uk/orientals/Large/Delacroix-odalisque. jpg

François Boucher, Le viol d’Europa (L’enlèvement d’Europe), 1734 • La représentation d’un mythe classique, traitant de l’origine de l’Europe (car Europa s’enfuit dans la région qui va porter son nom); ceci est une vision non orientaliste de la féminisation; la femme est soumise, mais pas dominée; la nature sauvage est clairement «en bas» , et le ciel héberge de petits cupidons qui viennent à son aide. Bref, la femme occidentale peut lier des éléments bas et hauts, le sauvage et le noble. La condition féminine n’est pas totalement négative.

Eugène Delacroix, Cavalier arabe attaqué par un lion, 1849 L’homme oriental comme sauvage violent, mais aussi la présence menaçante de la nature. L’image communique la soi-disant civilisation des Orientaux ne réussit pas à les isoler de la nature, comme elle le fait en Europe. http: //www. ibiblio. org/wm/paint/auth/delacroix/arab-lion. jpg

Eugène Delacroix, Massacre à Chios, 1824 (viol, esclavage et le sauvage, surtout la menace turque)

Une autre version, attribuée à Delacroix, mais il s’agit d’une interprétation contemporaine

Eugène Délacroix, Le mort de Sardanapulus, 1827 Orientalisme: viol, esclavage et le sauvage

Jean-Léon Gérôme, Prière dans la mosquée, 1871 La religion, dont la qualité mystique et donc «orientale» est établie par la domination de l’architecture, surtout par la présence d’une grille suspendue qui encadre les hommes en prière et qui suggère que la structure du bâtiment a besoin d’être renforcée (contraste implicite avec l’architecture et les techniques de construction plus robustes des Européens). http: //sandstead. com/images/metropolitan/GEROME _Prayer_in_a_Mosque_1871_LS_d 2 h_. jpg

Pierre-Auguste Renoir, l’Odalisque, 1870 Nous sommes vers la fin de cette phase visuelle de l’imaginaire occidental, et nous voyons les signes d’une ‘autre’ femme orientale, un peu moins belle, moins séductrice, moins menaçante. Pas surprenant, les pays occidentaux commencent à dominer l’Orient.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Le bain turc, 1862 La vision baroque; l’arrangement spatial des femmes en poses langoureuses et la perspective plus typique de la Haute-Renaissance transforment ce sujet banal en scène exotique, mais déjà un peu moins menaçante – les femmes ont l’air de poupées

Frederick Leighton, Odalisque, 1862 Mythification – le mythe de Léda, qui est considérée comme «Européen» , car grecque (c’est l’époque du mouvement néoclassique qui invente l’image de la Grèce comme «berceau de la civilisation» ). On dompte l’Orient, car l’antiquité de «notre» culture nous donne une force supérieure. Cette combinaison de crainte et d’admiration est typique du mouvement.

Jean-Léon Gérôme, La prière sur les toits de Caire, 1865 • http: //www. lyons. co. uk/orientals/Large/Gerome-Housetops. jpg La religion mystique qui déborde dans la rue, qui souligne la puissance de la religion dans l’Orient; elle n’est pas confinée aux mosquées. Ces personnes ne semblent pas distinguer le sacré et le laïc comme «Nous» le faisons. L’image de l’Oman qui fait appelle à la prière suggère une religion moins développée qu’en Occident, où les cloches suffissent (le pouvoir des symboles est donc moins efficace en Orient).

Joshua Reynolds, Portrait of Omai, 1775 L’homme féminisé; ici, par les vêtements qui dominent le corps; pire, Omai n’était aucunement un «Oriental» . Il était un jeune homme polynésien (Tahiti) amené en Angleterre à l’occasion d’une expédition d’exploration comme «pièce de musée» . Il est allé, semble-t-il, parce qu’il cherchait l’appui des Anglais pour résoudre une lutte politique locale. Reynolds a recyclé une pose «héroïque» qu’il avait utilisée pour son portrait exécuté en 1772 d’Augustus Keppel, un commandant naval anglais et son ami. http: //hoocher. com/Joshua_ Reynolds/Augustus_Keppel_1752_53. jpg

George Seymour, A Consecration of Arms (1880 s) Bien que ceci soit un portrait d’un soldat qui consacre ses armes (devant lui, à ses pieds), il y a une qualité féminine très marquée à ce portrait, surtout avec l’emphase sur le pectoral dévoilé, comme dans un geste de séduction. Notez la différence de couleurs; à gauche, une reproduction contemporaine; à droite, l’originale

Karoly Csuzy, Nubian Man (1880 s) Toujours un homme sensuel, dans une pose évocatrice de l’Odalisque de Ingres; la musculature évidente est drôlement féminisée par la pose

Jean-Léon Gérôme, La danse pyrrhique (1885) Cette danse est censée être un rituel de magie sympathique avant de se lancer au combat, mais en dépit du sujet belliqueux, le danseur principal (voilé) a une jupe très féminine, pour ne pas mentionner que l’idée des soldats dansants devait apparaitre assez bizarre aux Européens.

Photographe, 1880, Le café turc L’exotique et le sauvage; la hiérarchie représentée par le petit gars serviteur. La domination du patriarcat dans la dimension publique en Orient est souvent vue comme un trait marquant sa faiblesse. Ont-ils peur des femmes?

Ludwig Deutsch, The Scribe, 1894 L’homme oriental féminisé par son environnement et par sa corporalité langoureuse.

Osman Hamdy-Bey, Old Man in Front of a Child’s Tomb (1903). L’orientalisme a aussi influencé le monde oriental, car voici un exemple d’un portrait par un «vrai» oriental (un politicien et intellectuel turc renommé) qui est allez en Europe pour étudier les techniques perfectionnées durant la Renaissance. Notez la fidélité au technique à faire dominer les détails, mais il y a aussi une illumination tout à fait différente du contrejour standard des orientalistes européens, plus évocateur du chiaroscuro, car la rétro-illumination ne cache aucunement le visage de l’homme. L’aperçu de l’arrière-plan «naturel» à travers l’arche est très italien et donc, a ce point dans le parcours esthétique, très classique.

Odalisque La photographie osée (pour l’époque) inspirée par l’art orientaliste (Delacroix)

Kay Neilson, 1920, Scheherazade Telling the Tales (la femme soumise; art nouveau; illustration pour un livre d’enfants)

L’orientalisme en Amérique: la femme autochtone comme odalisque bizarrement, elle a le visage d’une Sicilienne

Alexandre Cabanel, L’Égyptologie 1: Cléopâtre expérimente les poisons sur les condamnés à mort, 1887 (la femme menaçante)

L’Égyptologie 2: Art Nouveau et le décor contemporain Lawrence Alma-Tadema, The Finding of Moses, 1904 Ici, comme dans l’illustration précédente, on voit les premiers pas vers la standardisation des motifs censés illustrer «l’Orient» : finie l’expérimentation osée des premiers artistes, nous sommes devant la vulgarisation sur le seuil de devenir le kitch, signe certain que les attitudes populaires ont changé.

Henri Matisse, Le tatouage, 1923 (modernisme); on ne peut ignorer la croix (la femme est donc copte, et surement une chrétienne), mais aussi la forme ovale du visage «typique» des femmes orientales

L’orientalisme n’est pas véhiculé uniquement par une école académique de peinture. L’intérêt pour l’orient à des antécédents qui remontent aux Romains, et à l’expédition de Napoléon en Égypte en 1798. Bien sûr, Shakespeare dans le monde anglais avait popularisé le thème avec Antony and Cleopatra (1623). Plusieurs films à son sujet ont été réalisés: mini-séries en 1993, le film « classique » de 1963 où Liz Taylor a séduit Richard Burton, Marcantonio e Cleopatra (Italien, 1913), pour ne pas mentionner Astérix & Obélix Mission Cleopatra (2002). Le tout a commencé avec la guerre civile suivant la mort de Jules César. Octave le neveu et fils adoptif de César, n’est pas content avec la partie occidentale de l’empire. Il veut tout, surtout la partie orientale que Marcus Antonius avait reçue, car Égypte était le grenier à blé de Rome. Cléopâtre, pour tenter de sauver son royaume, avait eu un fils de César et elle tente la même stratégie avec Marc-Antoine. Il est séduit par ses charmes. Octave lance une campagne acharnée de propagande pour justifier sa guerre civile: le général et ancien ami de César est accusé d’avoir délaissé son devoir et son honneur romain face à cette séductrice, qu’Octave accuse d’être une prostituée, une toxicomane, une alcoolique; elle veut couronner Marc-Antoine pour le transformer en roi d’Égypte: c’est un insulte à Rome républicaine. On connait la fin: une grande bataille navale à Actium en 31 av. -J. C. au large de la côte ouest de la Grèce. Octave. Un an plus tard, Cléopâtre et Marc-Antoine se suicident, et Octave devient l’Empereur Auguste.

Voilà: d’une côte: séduction, trahison, sexe, bataille, encore du sexe, vie sybaritique; de l’autre: vie austère, devoir, « démocratie » (pour l’époque), repas de soldat (pain, fromage, vin âpre). C’est le combat classique du principe féminin voilé par la séduction, contre le masculin dur, direct, pénétrant. Derrière ces prises de position: l’avidité, la soif du pouvoir, la naissance d’un empire. Le secret de la popularité de cette histoire n’est pas les émotions, mais le fait qu’elle fait un pont entre les dynamiques du pouvoir nu et l’intimité à laquelle chaque personne a accès: désir, amour, sexe, amitié, loyauté, trahison. L’histoire de Cléopâtre, César, Marc Antoine et Octave forme une armature sur laquelle un individu quiconque peut construire une interprétation des dynamiques du pouvoir desquelles il est exclu par sa station humble. Ici, le haut descend vers le bas. L’orientalisme au niveau étatique est un jeu d’empire, mais sur le plan individuel, il est une porte d’entrée au pouvoir, version simulacre.

Fillette afghane (Sharbat Gula), National Geographic, 1985 (photographe: Steve Mc. Curry), image iconique de la guerre Soviet – Afghane de l’époque Shurbat en 2002 http: //3. bp. blogspot. com/_sj. GDj. MPZr 9 A /TFVx. NS 6 WJo. I/AAAAAXQ/2 P-g. KOi. BIE/s 400/Afghan+Girl+Now+with +NG+Magazine. jpg

Le nouvel orientalisme. Ici, on le voit dans la revue de bord d’Air Canada, que j’ai choisi au hasard. Ces revues se ressemblent toutes.

De la revue en. Route (Air Canada – Star Alliance): Background In 2001, en. Route relaunched as a lifestyle magazine. In May 2005, we underwent another transformation to become a publication that celebrates the travel lifestyle of our readers. en. Route stories are infused with the idea of mobility, with travel-related stories occurring throughout the magazine. We speak to an international readership that is on the go, cultured and educated. http: //upload. wikimedia. org/wikipedia/commons/c/ce/Air. canada. a 330 -300. c-cfaf. arp. jpg

… suite/2 What are we about? en. Route is the place where Canada and the world intersect. We are an upscale travel lifestyle magazine interested in everything from wine to design, popular science to pop music. We are a trusted and consistent source of entertainment and information about the world and the mobile lifestyle of our readers. The magazine is smart and fun and seeks to celebrate the excitement and glamour of air travel. As many travellers’ first introduction to Canada, we are proudly Canadian but never parochial about Canadian content.

…suite/3 Who are our readers? en. Route readers are highly mobile people who live, work and play on a global scale. Air Canada passengers (64 percent male/36 percent female) are affluent business travellers from major Canadian cities and highly educated frequent flyers with disposable incomes far above the national average. http: //images. usatoday. com/travel/_photos/2006/08/10/cruise-topper. jpg

… suite/4 What makes an en. Route story? A subject that will remain fresh during our four-to-six month lead time and has a unique, unexpected angle. A tone that is personal, highly narrative and opinionated. Stories that are about or that illustrate a sense of mobility (not only dealing with travel but all on-the -go lifestyles) and that have a broad, international perspective (which may or may not include a Canadian angle). http: //www. cruisewwt. com/images/HAL_Asia. jpg

… suite/5 Topics that relate to our key lifestyle areas (food, wine, spirits, wellness, beauty, design, architecture, style, technology, consumerism, new and traditional media, social trends and the arts (including books, music and visual art). Fresh formats that go a step beyond traditional reportage and essays. A forward-looking approach instead of a rehashing of the past. en. Route makes our readers feel more tuned in to the world than they did before picking it up. It’s like a hip, trusted friend who always gives you the inside scoop. http: //www. cruiseholidaysnj. com/images/destinations/So. America 2 -large. jpg

… suite/6 What does veteran concierge Frank Laino have in common with a rowdy South African barbecue, a rock festival in Holland a bookstore in San Francisco? They are all part of the en. Route 100, a special compendium of our favourite people, places and things from around the world. To read selections from the package, including our profile of Leslie Feist see below. FEIST CLUB With two hit albums, a top ten single and an i. Pod commercial under her belt, it begs the question about Feist: Is the golden girl of indie rock ready to be a pop star? PARADISE BY THE DASHBOARD LIGHT Touring Dalat, Vietnam, from the backseat of a Citroën, it’s clear why this colonial outpost is nicknamed Little Paris. AN ODE TO THE DIVE BAR Crack open a bottle of beer and cue the jukebox. It’s time to give the dive bar some respect. A WEEKEND IN THE LAKE SIMCOE AREA, ONTARIO In the time it takes to get to downtown Toronto from the airport you can make it to cottage country. Don’t forget the skates. THE ITALIAN SANDWICH LUXURY GETAWAYS Mary Gostelow’s hotel picks. STOP WATCH Readers get the green light to shoot traffic signals around the world. Ready, set, go. IMAGINE – EXPERIENCE THE DREAM Leisure, Luxury and Love: Sol Meliá Hotels & Resorts and You

Le nouvel orientalisme: Où sommes-nous? (Berlin à gauche et Tokyo à droit )

Le nouvel orientalisme: Où sommes-nous? (Tokyo à gauche et Dubai à droit)

Le nouvel orientalisme se manifeste sous plusieurs formes. L’expression n’est plus limitée à un mouvement littéraire ni aux attitudes envers l’Orient ni même envers l’Autre, car le système mondial, ses cultures postcoloniales et les idéologies néolibérales ont brouillé les frontières traditionnelles. La fusion du Nous et de l’Autre n’a pas éliminé l’orientalisme. Par exemple, Anca Baicoianu l’utilise pour décrire une forme de victimisation qui existe dans la culture nationale roumaine ( « The Trap of Memory: Auto-Orientalism as Victimization » , 2006, http: //www. inst. at/trans/16 Nr/02_2/baicoianu 16. htm, 27 -11 -2011), où l’exaltation de sacrifices héroïques, mais inutiles, l’affirmation que le parcours national « historique » et glorieux a été interrompu par une puissance exogène, l’idéalisation du passé (l’âge d’or) et la diabolisation du présent, le sentiment répandu que l’ « ailleurs » soit supérieure aux conditions locales, sont des manifestations d’une attitude postcoloniale (sans qu’il ait forcément eu une étape récente de domination coloniale); en fait, et dans le cas de la Roumanie et d’autres pays de l’Europe de l’Est qui ont vécu le socialisme, il s’agit d’un excès de sentiment nationaliste qui mène à la frustration collective après la chute des régimes qui les isolaient du reste du monde. L’orientalisme devient autovictimisation, une forme de nationalisme basée plus sur la honte que l’orgueil. Voir également Gérard Leclerc, mondialisation culturelle : les civilisations à l'épreuve, Paris, 2000). À gauche, Le Grande Roumanie, une carte récente qui affiche les territoires roumains des années 1930 s, mais perdus suite à la 2 e Guerre mondiale: le passé national « glorieux » .

Récemment, You. Tube présente des vidéos de femmes arabes très belles et très professionnelles qui pilotent des avions passagers. Ces images touchent le rêve secret de plusieurs hommes blancs, car ces femmes arabes conservent le cachet d’exotisme et de la féminité, mais sont ‘accessibles’ parce qu’elles travaillent dans un milieu occidental (à l’origine). Mais, l’important est de signaler que ces métiers occidentaux (pour ainsi dire) sont apparemment très alléchants pour ces femmes, un chemin vers l’émancipation, d’un point de vue occidental, mais pour elles c’est possiblement une façon de souligner les atouts féminins sans danger d’être critiquées, car dans le milieu de l’aviation, des standards occidentaux de présentation du Soi féminin sont acceptables. https: //www. youtub e. com/watch? v=L 7 Aj. VVuagok ; 12 -05 -2020