Littrature et anthropologie Cours 2 De la maladie

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Littérature et anthropologie Cours 2 De la maladie d’amour à la mélancolie érotique :

Littérature et anthropologie Cours 2 De la maladie d’amour à la mélancolie érotique : passion, fureur et délire amoureux

1 - Périls de la fascination Sur le mythe ancien des regards contagieux

1 - Périls de la fascination Sur le mythe ancien des regards contagieux

Sire, mon père est mort, mes yeux ont vu son sang Couler à gros

Sire, mon père est mort, mes yeux ont vu son sang Couler à gros bouillons de son généreux flanc, Ce sang qui tant de fois garantit vos murailles, Ce sang qui tant de fois vous gagna des batailles, Ce sang qui tout sorti fume encor de courroux De se voir répandu pour d'autres que pour vous. ………………………… J'arrivai donc sans force, et le trouvai sans vie, Il ne me parla point, mais pour mieux m'émouvoir, Son sang sur la poussière écrivait mon devoir, Ou plutôt sa valeur, en cet état réduite, Me parlait par sa plaie et hâtait ma poursuite. Le Cid, éd. de 1637, II, VII, v. 685 -690.

Le sang d'un homme assassiné par le glaive coule vers son meurtrier ; ce

Le sang d'un homme assassiné par le glaive coule vers son meurtrier ; ce que l'expérience enseigne souvent et que moimême je puis attester de bonne foi avoir constaté. Car après que Jacques d'Aquerie, notable arlésien, eut succombé à ses blessures, et que celui qui l'avait blessé, arrêté par la justice, eut été déféré devant le cadavre pour reconnaître le meurtre et avouer son crime, bientôt le sang commença à surgir à gros bouillons et avec ardeur de la blessure et des narines, aux yeux de tous. François Valleriole (1504 -1580), Observationum medicinalium libri VII, Lyon, 1573, fol. 107 (nous traduisons).

C'est que, lorsque toute chaleur n'est pas encore éteinte dans un corps récemment occis,

C'est que, lorsque toute chaleur n'est pas encore éteinte dans un corps récemment occis, que toute agitation, toute force intérieure n'est pas encore endormie, alors cette force intérieure crie tacitement vengeance, et bientôt la bile s'enflamme à cet effet : à partir de quoi le sang s'embrase, et aussitôt se précipite vers la blessure qu'il voit capable de lui offrir une issue : les esprits accourent au même lieu, qui s'envolant grâce à leur légèreté vers le meurtrier s'il est présent, émigrent en lui : et ils s'y conservent dans leur chaleur native quelque temps, disons six à sept heures environ : et si durant cette période le meurtrier vient à la vue [in conspectum] de sa victime et la contemple avec attention, la blessure projette du sang en direction du meurtrier.

Daniele Crespi (1618 -1620) Caïn tuant Abel

Daniele Crespi (1618 -1620) Caïn tuant Abel

Comme peuvent être de faire saigner les plaies du mort lorsque le meurtrier s’en

Comme peuvent être de faire saigner les plaies du mort lorsque le meurtrier s’en approche, d’émouvoir l’imagination de ceux qui dorment ou même aussi de ceux qui sont éveillés, et leur donner des pensées qui les avertissent des choses qui arrivent loin d’eux, en leur faisant ressentir les grandes afflictions ou les grandes joies d’un intime ami, les mauvais desseins d’un assassin et choses semblables. Les Principes de la philosophie, écrits en latin par René Descartes et traduits en français par un de ses amis, Paris, H. Le Gras, 1647. Éd. crit. p. p. Fernand Alquié des Œuvres philosophiques de Descartes, Paris, Bordas, « Classiques Garnier » , 3 vol. T. III (1643 -1650), 1989, p. 501 -502 (passage absent de l’original latin).

Quand le tyran s’égaye en la ville où il entre, La ville est un

Quand le tyran s’égaye en la ville où il entre, La ville est un corps mort, il passe sur son ventre, Et ce n’est plus du lait qu’elle prodigue en l’air, C’est du sang, pour parler comme peuvent parler Les corps qu’on trouve morts : portés à la Justice, On les met en la place, afin que ce corps puisse Rencontrer son meurtrier : le meurtrier inconnu Contre qui le corps saigne est coupable tenu. Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques (1616), chant I, v. 588 -592.

Massacre de Wassy, 1 er mars 1562, gravure de Tortorel et Perrissin.

Massacre de Wassy, 1 er mars 1562, gravure de Tortorel et Perrissin.

Si le corps tend vers qui a blessé d’amour l’âme, c’est selon cette loi

Si le corps tend vers qui a blessé d’amour l’âme, c’est selon cette loi que le blessé tombe du côté de sa plaie, que le sang gicle dans la direction où le coup nous a frappés et que l’ennemi, s’il se trouve à portée, est atteint par l’humeur vermeille. Lucrèce, De Natura rerum, l. IV, v. 1047 -1051.

Si vous demandez la raison de ce miracle pour ainsi dire, je vais vous

Si vous demandez la raison de ce miracle pour ainsi dire, je vais vous la dire. Hector blesse Patrocle et le tue. Patrocle tourne les yeux vers Hector qui le blesse. Alors la pensée lui vient de se venger. Aussitôt la bile s’enflamme pour la vengeance, elle enflamme le sang qui se porte immédiatement vers la blessure, à la fois pour soutenir cette partie du corps et se venger. Les esprits aussi courent vers le même endroit et, parce qu’ils sont légers, volant jusqu’à Hector, ils émigrent en lui et grâce à sa chaleur peuvent y demeurer un certain temps, par exemple, sept heures. Dans le même temps, si Hector, en s’approchant près du cadavre, regarde la blessure, elle lance vers lui un jet de sang, car le sang peut d’une certaine manière jaillir vers son ennemi, d’abord parce que sa chaleur n’est pas encore complètement éteinte et que son agitation intérieure n’est pas terminée, et aussi, parce que peu de temps avant il était irrité contre lui, enfin, parce que le sang réclame ses esprits et que les esprits eux-mêmes attirent leur sang. Marsile Ficin, Commentarium in convivium Platonis de amore, (1469), 2 de éd. , 1475. Rééd. et trad. fr. Raymond Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 1956. VIIe Discours, ch. V, p. 250.

Marsile Ficin (détail) Santa Maria Novella, Florence (1486 -1490).

Marsile Ficin (détail) Santa Maria Novella, Florence (1486 -1490).

Lysias reste bouche bée devant le visage de Phèdre lance dans les yeux de

Lysias reste bouche bée devant le visage de Phèdre lance dans les yeux de Lysias les étincelles de ses yeux et, en même temps que ces étincelles, lui transmet aussi ses esprits. Le rayon de Phèdre s’unit aisément à celui de Lysias et l’esprit de l’un se joint à l’esprit de l’autre. Cette vapeur de l’esprit, née dans le cœur de Phèdre, atteint aussitôt le cœur de Lysias, dont la dureté, la rendant plus dense, la fait revenir à son état premier, c’est-à-dire au sang de Phèdre ; de sorte que le sang de Phèdre, ce qui est extraordinaire, se trouve désormais dans le cœur de Lysias. […] Phèdre suit Lysias parce que son cœur réclame son sang et Lysias suit Phèdre, parce que son sang réclame sa propre demeure et exige sa place. Cependant Lysias suit Phèdre avec plus d’ardeur, parce que le cœur vit plus facilement privé d’un peu de sang, que le sang sans son propre cœur. La rivière a plus besoin de la source que la source du ruisseau. Donc comme le fer qui a reçu la qualité de la pierre magnétique est entraîné vers cette pierre, mais ne l’attire pas, ainsi Lysias suit Phèdre plus que Phèdre ne suit Lysias. Marsile Ficin, op. cit. , VII, IV, p. 248 -249.

Si je porte en mon cœur une plaie incurable Vos yeux ont fait le

Si je porte en mon cœur une plaie incurable Vos yeux ont fait le coup, et votre belle main Enfonce plus avant toujours dedans mon sein Le trait de vos beautés qui m’est si redoutable. Amadis Jamyn, « D’un homicide » Sonnet LXII, Œuvres poétiques, 1575 Vous êtes la meurtrière, hélas, inexorable ! Si tôt que je vous vois le cœur me bat soudain : Tout mon sang se ramasse en tel endroit malsain, Et bouillant veut jaillir encontre la coupable. Bien que mort et muet je ne m’aille plaignant, Je vous puis accuser par l’ulcère saignant Qui lorsqu’en approchez décèle votre offense. Ainsi quand le meurtrier vient approcher d’un corps Que son fer a tué, le sang jaillit dehors, Et les esprits ténus demandent la vengeance.

 • AGNÈS • • • • • • • Moi, j’ai blessé quelqu’un

• AGNÈS • • • • • • • Moi, j’ai blessé quelqu’un ? fis-je toute étonnée. Oui, dit-elle, blessé, mais blessé tout de bon ; Et c’est l’homme qu’hier vous vîtes du Balcon. Hélas ! qui pourrait, dis-je, en avoir été cause ? Sur lui sans y penser, fis-je choir quelque chose ? Non, dit-elle, vos yeux ont fait ce coup fatal, Et c’est de leurs regards qu’est venu tout son mal. Hé, mon Dieu ! ma surprise est, fis-je, sans seconde. Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde ? Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le trépas Ma fille, ont un venin que vous ne savez pas. En un mot, il languit le pauvre misérable. Et s’il faut, poursuivit la vieille charitable, Que votre cruauté lui refuse un secours, C’est un homme à porter en terre dans deux jours. Mon Dieu ! j’en aurais, dis-je, une douleur bien grande. Mais pour le secourir, qu’est-ce qu’il me demande ? Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir, Que le bien de vous voir et vous entretenir. Vos yeux peuvent eux seuls empêcher sa ruine, Et du mal qu’ils ont fait être la médecine. Hélas ! volontiers, dis-je, et puisqu’il est ainsi, Il peut, tant qu’il voudra, me venir voir ici. …………………… Voilà comme il me vit et reçut guérison. • Molière, L’École des femmes, II, 5, v. 512 -534 et 537. Passage souligné par nous.

NÉRON J’aime (que dis-je aimer ? ), j’idolâtre Junie. NARCISSE Vous l’aimez ? NÉRON

NÉRON J’aime (que dis-je aimer ? ), j’idolâtre Junie. NARCISSE Vous l’aimez ? NÉRON Excité d’un désir curieux Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux, Triste, levant au Ciel ses yeux mouillés de larmes, Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes, Belle, sans ornement, dans le simple appareil D’une Beauté qu’on vient d’arracher au sommeil. Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence, Les ombres, les flambeaux, les cris, et le silence, Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs Relevaient de ses yeux les timides douceurs. Quoi qu’il en soit, ravi d’une si belle vue, J’ai voulu lui parler et ma voix s’est perdue : Immobile, saisi d’un long étonnement Je l’ai laissé passer dans son appartement. J’ai passé dans le mien. C’est là que solitaire De son image en vain j’ai voulu me distraire. Trop présente à mes yeux je croyais lui parler. J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler. Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce ; J’employais les soupirs, et même la menace. Voilà comme occupé de mon nouvel amour Mes yeux sans se fermer ont attendu le jour. Mais je m’en fais peut-être une trop belle image. Elle m’est apparue avec trop d’avantage, Narcisse, qu’en dis-tu ? Racine, Britannicus, II, 2, v. 384 -409 Néros (Britannicus) Costume dessiné par Philippe Chéry (1759 -1838)

Est-ce que les juges n’en sont pas frappés ? Estce que la cause n’en

Est-ce que les juges n’en sont pas frappés ? Estce que la cause n’en tire pas quelque avantage ? Est-ce que l’orateur n’en est pas lui-même plus écouté, plus applaudi ? Je tiens donc pour moi que ces pensées qui sont si lumineuses et si brillantes se doivent regarder comme les yeux de l’Éloquence. Quintilien, Institution oratoire.

Quelques autres philosophes (spécialement Platon) […] tiennent, que le courroux a son origine et

Quelques autres philosophes (spécialement Platon) […] tiennent, que le courroux a son origine et naissance du fiel ; et que le désir libidineux, prend sa source du foie ; comme du cœur sourd l’appétit de vengeance et d’ambition ; et partant que le principe de l’amoureuse affection, prend fonds du cœur et du foie. Et tout ainsi que plusieurs contagieuses maladies, se prennent de personne à autre par la vue, ou par l’haleine, de celui qui en est entaché : ainsi cette amoureuse passion (ce disent-ils) passe d’un à autre, seulement par les rayons des yeux : lesquels (en se regardant) dardent de subtils invisibles esprits ; qui passant d’un œil à l’autre, par déliées veines pénètrent jusques au fond du cœur ; et là attirant et émouvant les esprits, et le sang, de celui qui est regardé, a leur nature et qualité ; les altèrent, ne plus ne moins, que peu de vapeur pestilente, corrompt tout le sang de l’homme ; et engendre en cestui-là un fervent désir de se réunir à la personne, de laquelle il est infecté ; par l’appétit, qui naturellement espoint ces esprits ainsi envoyés, de se rassembler à la masse, de laquelle ils ont été distraits. […] Et dis, que cette maladie a son principal siège au cœur, comme fontaine et réceptacle du sang plus spiritueux ; auquel étant une fois imprimée, par la subtilité des esprits, la nature et l’image de la personne, de laquelle ils sont partis ; et au moyen de cette impression l’Amant toujours l’ayant en la phantaisie, rafraîchie par les récents esprits, qui toujours appètent et désirent de retourner à leur principe ; p[a]rtant désire l’amoureux de se joindre à la personne qu’il aime ; et en elle jeter son sperme ; auquel (pour la plus grande partie) sont toujours mêlés les esprits. […] Car tous les jours nous voyons, que les fols et les frénétiques, surmontés d’humeur bilieux ou mélancolique, font des choses qu’ils ne feraient pas, s’ils avaient leur esprit libre, et leur corps bien organisé, et bien tempéré. Tout ainsi en advient-il aux amoureux, depuis qu’ils sont une fois pris et surmontés par les esprits et les humeurs, qui ont causé leur amour. Giovan Battista Fregoso, dit Fulgosius, Anteros sive tractatus contra amorem, Milan, Leonardo Pachel, 1496. Contramours. L’Antéros ou contramour de Messire Baptiste Fulgose, traduction française par Thomas Sébillet, Paris, M. Le Jeune, 1581, p. 143, 145 -146 et 148.

Il semble, dit Aristote en ses Éthiques, que le principe de toute sorte d’Amour,

Il semble, dit Aristote en ses Éthiques, que le principe de toute sorte d’Amour, et d’amitié, soit le plaisir qu’on prend par la vue, à raison de quoi le poète Properce appelle les yeux les conducteurs et guides de l’amour : Si nescis, oculis sunt in Amore duces. Aussi sont-ils vraiment les fenêtres par lesquelles Amour entre dans nous, pour attaquer le cerveau, citadelle de Pallas, et les conduits, par lesquels il s’écoule et glisse dans nos entrailles, comme prouvent doctement et copieusement Marsile Ficin, et Fr. Valeriola en ses Observations Médicales, ce qu’ils semblent avoir appris de l’ancien Musée […]. L’excellente beauté, dit ce Poète de la dame, qui est sans contredit parfaitement belle, blesse le cœur par l’œil plus vite, que la sagette empennée, et des yeux se darde et glisse aux entrailles, où il cause un ulcère malin et cacoèthe. Jacques Ferrand, De la Maladie d’amour ou mélancolie érotique. Discours curieux qui enseigne à connaître l’essence, les causes, les signes et les remèdes de ce mal fantastique, Paris, D. Moreau, 1623 (Kraus Reprint, Nendeln, Liechtenstein, puis Kraus-Thompson, New York, « The Origins of Psychiatry and Psychoanalysis » , 1978), p. 16 -17. Voir aussi l’édition en langue anglaise p. p. Donald A. Beecher et Massimo Ciavolella, Syracuse U. P. , New York, 1990.

2 - Maladie et médecin de l’amour Une union par quiproquo

2 - Maladie et médecin de l’amour Une union par quiproquo

Antiochus et Stratonice (Valère-Maxime, Factorum ac dictorum memorabilium libri novem, Ier siècle, V, 7,

Antiochus et Stratonice (Valère-Maxime, Factorum ac dictorum memorabilium libri novem, Ier siècle, V, 7, 1. ) — (Plutarque, « Vie de Démétrios » , [in] Les Vies parallèles, 100 à 115 ap. JC) Théagène et Cariclée (Héliodore, Ethiopiques, IIIe ou IVe s. )

 • Jean Raoux, Antiochus et Stratonice, vers 1723, château de Weissenstein, Pommersfelden.

• Jean Raoux, Antiochus et Stratonice, vers 1723, château de Weissenstein, Pommersfelden.

Les médecins (incontinent qu'ils furent entrés dedans la chambre) lui demandèrent que c'était qu'elle

Les médecins (incontinent qu'ils furent entrés dedans la chambre) lui demandèrent que c'était qu'elle avait. Elle ne leur répondit pas un mot, ains se retourna d'un autre côté, et dit ces vers d'Homère: « Ô Achilles de Peleus étant Fils, et des Grecs le meilleur combattant. » Et lors Acestinus, ce savant médecin que vous connaissez, lui prend le bras pour lui tâter le pouls, et cher par le mouvement de l'artère sa maladie, comme par celle qui démontre les mouvements du cœur. Après qu'il l'eut par un assez long temps bien regardée, considérée et enquise, et qu'il eut bien contemplé et spéculé toutes choses : « Ô Chariclès, me dit-il, il n'était point de besoin que vous m'envoyassiez quérir pour venir ici : car un médecin ne saurait que faire, ni de rien servir à cette jeune fille. » Je me prins à écrier : « Ô dieux que dites-vous : ma pauvre fille est-elle donc perdue? n'y a-t-il plus d'espérance? — Ne vous tourmentez point, ditil : mais écoutez. » Et me prenant par la main, me retira à part assez loin de la pucelle, de tous les autres, puis me dit : « Notre science fait profession et promet de guérir les malades du corps, et de l'âme aussi : mais non pas proprement ni principalement, ains alors seulement que l'âme souffre et se sent de l'indisposition du corps : car lors elle se trouve mieux quand le corps est guéri. Et ce que votre fille a maintenant, c'est bien une maladie, mais elle n'est pas du corps : car il n'y a point en elle d'humeur superabondante. Elle n'a point de douleur de tête qui l'aggrave, elle n'a point de fièvre qui la brûle, il n'y a nulle partie en son corps, ni le tout ensemble, qui se deule : et pour ce faut penser que ce soit autre chose. » Et comme je le suppliasse très instamment de me dire que c'était, s'il en connaissait quelque chose. « Qui est l'enfant, dit-il, qui ne reconnaîtrait que c'est une passion de l'âme, et la maladie tout évidente que l'on appelle l'amour ? Ne voyez-vous pas comme elle a eu les yeux enflés ; comme elle a eu le regard vague et essoré ? Le visage pâle ; qu'elle plaigne aucune partie intérieure ? Ne voyez-vous pas comment elle a la pensée languissante, et ne sait qu'elle veut, et comment elle dit ce qui lui vient premier en la bouche ? Qu'elle a une inquiétude grande, et ne peut reposer, sans qu'on en voie aucune cause, et comment elle a été en peu de temps matée ? Il vous faut cher Calasiris, celui-là seul y donnera bon ordre. L'Histoire éthiopique d'Héliodore, contenant dix livres, traitant des légales et pudiques amours de Théagène Thessalien et Chariclée Éthiopienne. Traduite du grec en français par Maître Jacques Amyot […] et de nouveau revue, corrigée et augmentée [par Audigier]. Éd. consultée : Paris, 1614. L. III, ch. X, p. 120 v°- 121 v°

Je crois qu’il était amoureux depuis le début, qu’il demeurait triste et abattu à

Je crois qu’il était amoureux depuis le début, qu’il demeurait triste et abattu à cause de sa malchance auprès de la jeune fille et que les profanes le croyaient mélancolique. Il n’avait pas avoué son amour, mais quand la jeune fille eut répondu à son amour, il cesse d’être abattu, son irascibilité et sa tristesse se dissipent : le succès l’avait débarrassé de son affliction ; car sa raison se rétablit grâce à l’amour médecin. Arétée de Cappadoce, De Diuturnorum morborum causis et signis, t. II de l'Aretæus editio altera par K. Hude, Berlin, Teubner, « Corpus Medicorum Græcorum » , vol. II, 1958. — Traité des signes, des causes et de la cure des maladies aiguës et chroniques, trad. L. Renaud, Lagny, 1834.

Hæc ægritudo est sollicitudo melancholica similis melancholiæ, in qua homo sibi jam induxit incitationem

Hæc ægritudo est sollicitudo melancholica similis melancholiæ, in qua homo sibi jam induxit incitationem cogitationis suæ, super pulchritudine quarumdam formarum, et figurarum quae insunt ei. — Cette maladie est un trouble mélancolique semblable à la mélancolie, dans laquelle le patient se pousse lui-même à fixer désormais sa pensée sur la beauté de certaines formes et figures qu'il a dans l'esprit. Avicenne, Canon, Kitab (livre) III, fann ou fen (partie) I, traité 4, maqala (chapitre) 22, « al‑'ishq » ( « De la maladie amoureuse » ). D'après l'éd. de Venise, 1564, chapitre « De Ilisci » , f° 479 b.

Un médecin tout jeune encore, mais plein de science, était un jour assis à

Un médecin tout jeune encore, mais plein de science, était un jour assis à côté du patient. Il le tenait par le bras à l'endroit où l'on tâte le pouls. Par égard envers la mère, Jeannette était aux petits soins pour le garçon. Une raison quelconque la fit entrer dans la chambre où il reposait. A la vue de Jeannette, le jeune homme, sans parler ni bouger, sentit plus fortement au cœur l'ardeur de son amour. Son pouls commença de battre à coups plus précipités qu'à l'ordinaire. Le médecin s'en rend compte aussitôt. Il s'étonne, mais se tient coi, pour étudier la durée de ces coups. Quand Jeannette sortit de la chambre, le battement faiblit. L'homme de science pensa avoir en partie décelé l'origine du mal. Il attend un peu, et, sous couleur de demander quelque objet à Jeannette, la fait appeler, sans lâcher le bras de son malade. Jeannette vint aussitôt. Dès qu'elle fut dans la chambre, le pouls recommença de battre. La jeune fille partie, tout cessa. […] — La santé de votre fils n'est pas dans les mains des docteurs, mais dans celles de Jeannette. Je m'en suis rendu compte à des indices qui ne trompent pas : le garçon est amoureux fou de cette petite, à ce que je vois, sans qu'elle s'en doute. Si vous tenez à la vie de votre enfant, vous savez maintenant ce qu'il vous reste à faire. Philippe de Rémi, Jehan et Blonde. Rééd. Sylvie Lécuyer, Paris, Champion, « Classiques français du Moyen ge » , 1984, p. 146 -7

— Je puis vous assurer que vous y trouverez maint signe ; car, depuis

— Je puis vous assurer que vous y trouverez maint signe ; car, depuis que vous êtes entré, ce pouls cent fois s'est emballé. — LISARDO, À PART: Si toi tu es en tel état, que dirai-je de moi, ma vie ? Car s'il me tâtait le pouls, il me trouverait tant de fièvre qu'il s'y brûlerait les doigts ! Petite fille au teint trop pâle, qu'est-ce qui te fait donc languir ? Est-ce l'argile, ou bien l'amour ? Je m'effraie de te voir sortie, si tourmentée, tôt le matin ; et c'est pourquoi je veux te dire : « Ton mal ne vient pas de l'argile. Lope de Vega, El Acero de Madrid, 1608

PRUDENCIO À PART : — Il se pourrait fort bien que cette mienne enfant

PRUDENCIO À PART : — Il se pourrait fort bien que cette mienne enfant ne se sente oppressée que de tous ses désirs. L'époque, il est bien vrai, ne saurait dispenser un père qui professe honneur et dignité de sans cesse veiller sur celle de sa fille. Jadis, en d'autres temps, la femme de trente ans avait encor pour nom celui de jeune fille, et avec les garçons jouait, cheveux défaits. Mais aujourd'hui, du fait des grands péchés des hommes, signal plus que certain de la fin de ce monde, une enfant de dix ans aspire à se marier, à treize ans elle est mère, à vingt et un aïeule. Je veux, ces musiciens m'en ont donné l'augure, ma fille marier ; car c'est le seul moyen de la désopiler.

Jacques Ferrand, Traité de l’essence et guérison de l’amour ou De la mélancolie érotique,

Jacques Ferrand, Traité de l’essence et guérison de l’amour ou De la mélancolie érotique, 1610 — De la Maladie d’amour ou mélancolie érotique , 1623 édition de Donald Beecher et Massimo Ciavolella, Paris, Garnier, 2010.

Charles Sorel, Olynthe, [in] Le Palais d’Angélie, par le Sieur de Marzilly, Paris, T.

Charles Sorel, Olynthe, [in] Le Palais d’Angélie, par le Sieur de Marzilly, Paris, T. Du Bray, 1622. (p. 305 à 461 et 751 et suiv. )

je l'allai voir tout soudain, et trouvai son esprit en telle inquiétude, qu'il était

je l'allai voir tout soudain, et trouvai son esprit en telle inquiétude, qu'il était en perpétuelle rêverie. Ô Amour (disait-il en son transport) pourquoi m'as-tu fait voir la plus rare merveille de l'univers, puisque tu m'en voulais priver si tôt ? — Ah, me dit-il, qu'il est bien aisé au sain de donner conseil au malade : mon mal veut être guéri par d'autres remèdes que ceux que vous y voulez appliquer. L'Amour est un désir de posséder la chose aimée : il ne cesse point de nous tourmenter jusques à tant que nous la possédions. …les déplaisirs, les appréhensions et les inquiétude s qui la travaillaient avaient assez ôté de couleur à son visage, pour forcer les plus incrédules esprits à croire que son corps, par quelque concours de mauvaises humeurs, était réduit en très mauvais état.

PHÈDRE Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble

PHÈDRE Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ; Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler, Je sentis tout mon corps et transir et brûler. Je reconnus Vénus et ses feux redoutables, D’un sang qu’elle poursuit, tourments inévitables. Racine, Phèdre, I, 3, v. 273 -278.