Les accords de librechange internationaux et leurs impacts
Les accords de libre-échange internationaux et leurs impacts sur le secteur agricole français Quentin Mathieu APCA-DEAT-SERP FDGEDA 14 novembre 2019
L’organisation mondiale du commerce et l’échec du multilatéralisme ü Création de l’OMC (1994) en substitution du General Agreement on Tarrifs and Trade (GATT) de 1947. ü Création d’une véritable institution internationale, garante de la régulation du commerce international. ü Objectifs d’universaliser les relations commerciales : réduction des barrières aux échanges, circulation de l’information, coordination des pays et règlement des différends commerciaux. ü Malgré l’adhésion de 165 pays (dont Chine et Russie dans les années 2000) => échecs successifs depuis 1999 des différents cycles de négociation. ü « Triangle d’impossibilité (Petiteville, 2013). décisionnelle »
Le triangle d’impossibilité décisionnelle de l’OMC Intérêts divergents Nombre de pays Procédures contraignantes nécessitant l’unanimité
Un commerce mondial essoufflé
Accords préférentiels : une croissance inédite dans la mondialisation
Une convergence des puissances exportatrices
L’UE multiplie les accords préférentiels Canada Japon AELE Balkans Turquie TTIP Ukraine Mexique Vietnam Australie + N-Z MERCOSUR Chili Afrique du Sud
Multiplication des négociations et Accords de libre-échange ü L’Union européenne est toujours en recherche de leviers de croissance ü L’Organisation Mondiale du Commerce : une institution en manque de résultats depuis 1994 ü Accords avec l’Ukraine, le Chili, la Communauté Andine, l’Afrique du Sud, le Canada, plus récemment avec le Japon et le MERCOSUR, perspectives avec les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (évaluer les effets cumulés, une exigence) ü Le secteur agricole est toujours un point de blocage : droits de douane, reconnaissance des signes de qualité, normes et autres barrières non tarifaires ü Opinions publiques prennent part au débat : politisation des négociations => Exemple concernant le CETA : Commission d’évaluation de juillet 2017, Rapport rendu public en septembre.
Quels objectifs à travers ces accords ? ü La crise économique et financière continue de peser sur la croissance des pays européens => projection vers les émergents et les pays en développement ; ü Attrait des marchés publics à l’étranger, et donc de possibilité d’investissements massifs ; ü Ouverture pour les investissements directs étrangers (IDE), dont agroalimentaires ; ü Des volontés d’agendas politiques pour l’ensemble des parties ; ü Pour trouver un terrain d’entente, des concessions nécessaires => l’agriculture en première ligne côte européen face à des pays orientés sur le secteur primaire
1. Quelques rappels sur le CETA Un Accord en cours de ratification par le Sénat en octobre 2019
L’Accord CETA ü Produits laitiers : contingent ouvert par le Canada de 18 500 tonnes de fromages (4% de la consommation intérieure canadienne, et 32% de la consommation de fromages fins) ü Viande bovine : l’UE accorde un accès en franchise de droit pour un total de 67 950 tonnes ü Viande porcine : l’UE accorde au Canada en franchise de droit un accès pour 80 000 tonnes sur 5 ans ü Maïs doux : un contingent est accordé par l’UE pour 8 000 tonnes de maïs en conserve ü Reconnaissance de 145 IG par le Canada, s’ajoutant aux 200 IG de l’Accord de 2003 (vins et spiritueux) ü Les éleveurs canadiens ont obtenu des aides compensatoires sur 7 ans : montant 1, 7 milliard de dollars
Les enjeux du CETA (1) ü Grandes cultures : libéralisation des échanges avec un pays où les exigences sur le domaine phytosanitaires sont moindres que dans l’UE ü Viande bovine : le contingent à droit nul obtenu par le Canada représente 23% des importations de l’UE (calculer avant le BREXIT), différentiel de coûts favorable au Canada (engraissement et abattage-découpe) donc contingent rempli, notamment en pièces arrières de haute qualité (côtes et aloyaux pour RHD) ü Viande porcine : exportations canadiennes produits frais ou congelés à destination de l’industrie de la charcuterie-salaisonnerie ü Conditions de fabrication moins contraignantes au Canada : importations pouvant se répercuter sur la confiance des consommateurs européens, qui pourraient moins consommer de viande bovine ü France : secteur des bovins allaitants touché (Massif Central, Cher, Nièvre, Saône et Loire…)
Les enjeux du CETA (2) ü Le CETA omet d’intégrer des thèmes relevant de la santé publique ü Principe de précaution en Europe, tests scientifiques en Amérique du Nord ü Usage de farines animales ü Usage de promoteurs de croissance ü Bien-être animal ü Organisation des contrôles de qualité dans les filières (hormones utilisées au Canada pour les veaux avant le sevrage, ractopamine…) ü Décontamination des carcasses ü Nivellement par le bas et risque pour notre modèle alimentaire (sécurité sanitaire, gastronomie…)
Deux ans après l’entrée en application provisoire du CETA
Les enjeux pour le Canada ü L’agriculture canadienne enregistre une érosion de sa compétitivité depuis 2000 (3, 9% des exportations mondiales contre 6, 3% en 2000) ü Les nouveaux Accords commerciaux (dont le CETA), sont perçus comme des leviers de l’accès au marché mondial (européen), et du redressement de l’agriculture ü En parallèle : le Canada a enclenché une révolution agricole « Agriculture 4. 0 » (étude de la Banque Royale du Canada août 2019) ü Cette révolution agricole (hautes technologies intégrées), a pour finalité de changer les modes de production, d’accroître la productivité, de récupérer de la compétitivité, et de répondre aux attentes des consommateurs dans le monde (CETA + TTP) ü Condition requise : une agriculture intensive en capital, pour financer les mutations en cours
2. L’Accord politique UE-MERCOSUR Juin 2019 Lancement de la procédure de ratification… …sauf si rejet par la France…désaccord avec l’Allemagne
FOCUS sur le MERCOSUR ü 20 années de négociation entre l’UE et les pays du MERCOSUR ü L’UE a souhaité signer un Accord avant l’été (effet élections, renouvellement de la Commission, effet Trump), notamment l’Allemagne qui a de puissants intérêts dans le secteur automobile sur le marché Sudaméricain ü En échange, l’UE ouvrirait son marché aux produits agricoles et alimentaires de ces 4 pays (contingents exonérés partiellement ou totalement de droits de douane) ü Brésil : 74% du PIB des 4 pays membres du MERCOSUR ü Argentine : 23% ü Deux économies en crise et qui dépendent crucialement de l’agroalimentaire pour leurs exportations
Agroalimentaire : un secteur clé pour le Brésil
Le contenu (agricole) de l’Accord (1) ü 99 000 tonnes de viande de bœuf (55 % de viande fraîche et 45 % de viande congelée) à un droit ad valorem de 7, 5 % + élimination des droits de douanes sur les contingents Hilton déjà existants, soit 60 000 tonnes à droit zéro ; ü 190 000 tonnes de viande de volaille à droit zéro ; ü 25 000 tonnes de viande porcine avec un droit de 83 €/tonne ; ü 180 000 tonnes de sucre à droit zéro ; ü 450 000 tonnes d’éthanol pour des usages industriels et 200 000 tonnes pour tout autre usage avec un droit de douane réduit de 30 % ; ü 45 000 tonnes de miel à droit zéro ; ü 60 000 tonnes de riz à droit zéro.
La France importe peu du MERCOSUR mais…
Le contenu de l’Accord (2) : côté UE ü L’UE a obtenu de son côté une ouverture du marché des pays du MERCOSUR, avec réduction progressive des droits de douane sur dix ans ü Poudre de lait : 10 000 tonnes à 0% (droits nuls) ü Lait infantile : 5 000 tonnes à 0% ü Fromages : 30 000 tonnes à 0% ü Reconnaissance de 357 IG ü Des contingents plus faibles que ceux accordés par l’UE aux quatre pays du MERCOSUR
Le marché européen déjà ouvert
Les principaux risques de l’Accord ü Risque sanitaire : le Brésil et ses problèmes/scandales sanitaires ü Différentiel de coûts de production : méthode d’élevage, d’engraissement, abattage ü Risque humain : coût de la main-d’œuvre, et pratiques esclavagistes encore en vigueur ü Risque monétaire : aucun Accord signé par l’UE ne contient de clause monétaire ü Risque environnemental : pratiques culturales, extension des surfaces cultivables ü Propos d’Emmanuel Macron au G 7 de Biarritz : ne pas ratifier l’Accord si non respect de la COP 21? Dépendra de la procédure de ratification, simple ou mixte
Des usages contrastés de pesticides…
…et de pesticides controversés Tableau - Pesticides les plus vendus au Brésil en 2016 (par substance active) Substance Type Glyphosate herbicide 2. 4 -D Mancozebe Atrazine herbicide fongicide herbicide insecticide et acaracide fongicide herbicide néonicotinoïdes Acephate Carbendazim Paraquat Imidacloprid Ventes (en milliers de tonnes métriques) Statut dans l'UE 53, 4 33, 3 28, 6 Autorisé, interdiction prévue en France en 2021 Autorisé Interdit depuis 2004 24, 8 Interdit depuis 1991 13, 3 11, 6 9, 1 interdit depuis 2009 interdit depuis 2007 Interdit depuis 2018 185, 56
L’enjeu de la viande « piécée » ü 75 à 80% des importations européennes de viande bovine sont constituées d’aloyaux ü Circuits de restauration hors domicile : débouché privilégié par les producteurs sud-américains, y compris pour la France (consommation d’aloyaux = 43% de la viande bovine consommée, et 57% de viande hachée) ü Multiplier les Accords (une fois entrés en vigueur), conduit à des volumes importés (contingents tarifaires) supérieurs à la production européenne d’aloyaux ü Les régions d’élevage touchées
Des prix de la viande bovine moins chers qu’en France
Et maintenant? . . ü Quel calendrier pour l’Accord de juin 2019? ü Les discussions techniques vont durer a minima 18 mois ü Procédure de ratification : simple ou mixte? ü Procédure simple (Japon) : approbation à la majorité qualifiée par les 27 membres du Conseil (au moins 55% des Etats membres représentants 65% de la population européenne) et par le Parlement (minorité de blocage 35%) ü Procédure mixte (CETA) : Unanimité du Conseil et vote à la majorité qualifiée du parlement européen + ratification par les 37 Parlements nationaux et régionaux des pays membres de l’UE
3. Les autres accords signés ou en devenir Opportunités et menaces en perspective pour l’agriculture française et européenne
Enjeux de l’accord UE/Australie et Nouvelle-Zélande ü Des partenaires peu importants pour l’UE : Australie = 19ème partenaire commercial ; NZ = 49ème… mais à l’inverse l’UE est un marché essentiel pour ces pays (respectivement 3ème et 2ème partenaire commercial). ü Niveau de droits tarifaires moyen très faible en moyenne ≈ 2, 72 % => Enjeux concentrés sur la levée des barrières non tarifaires et l’accès aux marchés publics. ü Les secteurs de l’élevage et du sucre européens sont les plus exposés à l’éventualité d’un accord => les exportations de viandes bovines et ovines océaniennes pourraient être multipliées par 5 ! ü Inquiétudes au regard de la compétitivité du secteur agricole océanien.
L’UE déficitaire face aux pays océaniques
Les produits carnés au cœur de la stratégie commerciale océanienne
Estimation de l’impact d’un accord UE-Australie. Nouvelle-Zélande en 2030 (source : CEPII) Exportations UE Exportations ANZ Agriculture +94. 4% +489. 9% Industrie +89. 9 +67. 7 Services +35. 8 +67. 7 Total +35. 8 +120. 8
Accord UE-Mexique : opportunités contre réalité
Accord UE-Vietnam : quelques intérêts offensifs ciblés ü Mais une part plus ou moins grande de la France dans ces exportations : + de 20 % pour les produits laitiers et les vins, à peine 5 % pour la viande ü Une centaine de million d’€ d’exportations de produits français pourrait bénéficier de cet accord… mais sur des produits déjà à forte valeur ajoutée
Le JEFTA : un accord ambitieux et bénéfique pour l’agriculture européenne ü Abandon du TPP avec l’arrivée de D. Trump => réorientation des intérêts économiques du Japon vers l’UE + ambiguïté de la relation sino-nipponne. ü Echanges win-win pour les deux zones : l’industrie et la technologie pour le Japon, l’agriculture pour l’UE. ü Cet accord vient également d’une réorientation de la politique japonaise depuis l’arrivée du Shinzo Abe (PLD) en 2013. ü Une victime collatérale => l’agriculture japonaise, dont le déclin amorcé depuis 40 ans risque de s'accélérer. ü Enjeux préoccupants pour les associations environnementalistes : commerce du bois, pêcherie…
Un déficit commercial structurel Un pays avec deux fois plus d’habitants qu’en France, sur un territoire deux fois inférieur et seulement 12 % des terres consacrés à l’agriculture => taux d’autosuffisance alimentaire ≈ 40 %
Ce que prévoit l’accord Groupes de produits Moyenne des tarifs appliqués aux importations Moyenne produits agricoles 15, 1% Produits d'origine animale 13, 1% Produits laitiers 92, 1% Fruits, légumes, plantes 9, 0% Café, thé 13, 2% Céréales et autres préparations 54, 1% Oléagineux, graisses et huiles 6, 8% Sucres et confiseries 25, 7% Boissons et tabacs 15, 6% Coton 0, 0% Autres produits agricoles 3, 4% Source : OMC Principales implications de l'APE sur le commerce agricole de l'UE avec le Japon Augmentation estimée de 20 millliards d'€ des exportations européennes globales vers le Japon. Diminution des droits de douane à l'importation sur le bœuf, qui passeraient de 38, 5 % à 9 % en 15 ans + clause de sauvegarde sur les quantités importées fixées à 43 500 T/an (50 500 d'ici 15 ans). Suppression de droits de douane sur le porc transformé (8, 5 % actuellement) et allégement sur le porc frais. Le droit ad valorem sur les pièces à haute valeur (4, 3 %) diminuerait fortement sur 10 ans, et celui sur les pièces à faible valeur passerait de 482 yen/kg à 50 yen/kg Suppression progressive des droits de douane sur de nombreux fromages à pâte dure (dont le le Parmesan, le Gouda ou le Cheddar, où les tarifs sont de 29, 8 %) sur 15 ans. Elargissement des contingents à droit nul de fromages à pâte molle de 20 000 à 31 000 tonnes sur 15 ans. Suppression progressive des droits de douane sur les vins, actuellement de 15 % en moyenne pour des recettes de 145 millions d'€ en faveur de l'Etat japonais. Protection de 205 indications géographiques européennes, dont 130 pour les vins et spiritueux.
Les filières françaises à l’offensive
Eléments de conclusion Réexaminer la politique commerciale de l’UE
Des Accords de libre-échange en mode paradoxal ü L’UE en grande difficulté : BREXIT, instabilité politique, budget PAC… ü Les Traités commerciaux que signent l’UE sont complexes et paradoxaux ü Transition agroécologique versus « agriculture industrielle » : des modèles qui se télescopent par le prisme des Accords commerciaux ü Tous les Accords n’ont pas le même niveau de menaces : le cas du Japon ü En cours de négociation : un Accord avec l’Australie et la Nouvelle. Zélande (viande bovine, produits laitiers, céréales, vins…) ü Si Accord, gain à l’exportation pour ces deux pays : +490%, contre +94, 7% pour l’UE ü En toile de fond : que veut faire l’UE de son agriculture? Question fondamentale dans un monde incertain, complexe et menaçant (sécurité alimentaire)
Les attentes des agriculteurs pour 2021 -2027 (Source : IPSOS 2019)
Adopter des mesures concrètes (Source : IPSOS 2019)
Merci pour votre attention !
quentin. mathieu@apca. chambagri. fr Tél : 01. 53. 57. 10. 28
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