Le mat du berger ou coup du berger
Le mat du berger ou « coup du berger » est probablement ce que les non initiés du jeu d’échecs connaissent le mieux. Certains d ’entre-eux ont même l’impression qu’avec cette connaissance, ils sont entrés de plain pied dans les arcanes de ce jeu séculaire ! Ce serait toutefois bien réducteur. Étymologiquement, le nom de ce piège trivial semble devoir lui être attribué par analogie avec l’étoile du berger (en réalité la planète Vénus), visible généralement à l’aube. En effet, le « coup du berger » se produit très tôt dans la partie.
Il existe de nombreuses variantes du mat du berger, mais elles reposent toutes sur le même schéma : l’un des deux camp (généralement les Blancs) crée une menace de mat en un coup par une action combinée de la Dame et du Fou du Roi. Le principe est simple : si l’adversaire ne voit pas la menace, alors c’est mat ! Bien entendu, seul un débutant ou un joueur très inexpérimenté ignorera cette menace… Mais l’attaquant ne voit pas plus loin ! Il espère simplement que son adversaire oubliera la menace. Or, on ne peut jouer aux Échecs en comptant sur une gaffe hypothétique de son adversaire. Et c’est tant mieux ! Mais à présent, regardons de quoi il s’agit au juste. . .
Au premier coup, les Blancs déplacent leur pion de e 2 en e 4 Cela s’écrit : 1. e 2 -e 4 Ou, en abrégé : 1. e 4
Les Noirs répliquent en déplaçant leur pion de e 7 sur e 5 : Ce qui s ’écrit 1 … e 7 -e 5 Ou encore 1 … e 5 (les trois points indiquent qu ’il s ’agit d’un coup des Noirs)
Deuxième coup blanc : 2. Ff 1 -c 4 (ou 2. Fc 4)
C’est un coup plausible et correct : les Blancs appuient sur le point le plus faible du camp adverse. En effet, le pion f 7 n’est défendu que par le Roi noir.
Deuxième coup noir : 2 … Ff 8 -c 5 (ou 2 … Fc 5)
Les Noirs appliquent la même idée que leur adversaire et exercent une pression sur le point le plus fragile de la position blanche : le pion f 2.
Troisième coup blanc : 3. Dd 1 -h 5 C’est la manœuvre typique du « coup du berger » . Les Blancs créent deux menaces : l’une est très grave, l’autre moins. Voyez-vous ces deux menaces ?
La flèche rouge indique la très grave menace : Si les Blancs prennent en f 7 avec la Dame, c’est mat ! La flèche jaune indique une menace annexe : La prise du pion e 5 par la Dame blanche.
Voyons tout d ’abord le cas où le coup du berger « marche » : Les Noirs jouent 3 … Cb 8 -c 6 et parent ainsi la menace annexe car ils protègent leur pion e 5. Mais évidemment, il y a un « léger problème » . . .
Les Blancs réalisent dans ce cas leur menace principale : Ils prennent le pion f 7 avec leur Dame. . . … et la partie s’achève brutalement : échec et mat !
Revenons en arrière : au lieu de 3 … Cb 8 -c 6, les Noirs parent la menace principale grâce à 3 … g 7 -g 6 Effectivement, la Dame ne peut plus prendre en f 7… mais à nouveau, il y a un os.
En effet, les Noirs n ’ont pas pris la menace annexe en compte. Les Blancs prennent alors sur e 5 : 4. Dxe 5+ Les Noirs doivent parer l’échec. . .
… par exemple, en jouant 4 … Dd 8 -e 7 Mais il se produit alors un « dommage collatéral » :
… puisque les Blancs peuvent s’emparer impunément de la Tour h 8 laissée sans protection. Et, avec une Tour de moins, la lutte sera par trop inégale : on peut considérer que les Noirs sont irrémédiablement perdus.
Hohooo, mais alors… c’est merveilleux, le coup du berger ! Pas si vite… Nous avons vu jusqu ’ici deux possibilités pour les Noirs… de se tromper ! Revenons en arrière, à la position qui se produit après 3. Dd 1 -h 5… et essayons de trouver un moyen de parer les deux menaces simultanément.
Première solution : 3 … Dd 8 -f 6 Pas mal ! La Dame noire protège à la fois f 7 et e 5. . . Mais le Cavalier g 8 est fâché : on lui a pris sa belle case f 6, celle qui le met en contact avec le centre !
Deuxième solution : 3 … Dd 8 -e 7 C’est la bonne solution ! Les pions e 5 et f 7 sont protégés et, de plus, le Cavalier g 8 a libre accès vers la case f 6.
Que va-t’il se passer ensuite ? Dès que possible, les Noirs joueront … Cg 8 -f 6, attaquant la Dame blanche. Celle-ci, d’une valeur intrinsèque plus élevée que le Cavalier, sera obligée de rebrousser chemin, perdant ainsi un temps très important. Cela peut sembler dérisoire à un néophyte, mais la perte d ’un tempo dans ce type de situation occasionne un désavantage si grand… que n’importe quel joueur un tant soit peu expérimenté le jugera, avec raison, pratiquement irréversible.
Le coup du berger n’est donc pas la panacée dont rêvent certains débutants… Dommage pour eux, tant mieux pour le jeu ! Ce n’est pas le fait de créer une menace grossière qui est répréhensible, mais celui de baser sa stratégie sur une hypothétique erreur de l’adversaire. Si l’adversaire réagit normalement, le « coup du berger » se retourne contre l’agresseur en un remake de l’ « arroseur arrosé » . On peut provoquer des erreurs de l’adversaire. . . … mais pas baser son avenir sur elles !
Philippe Kesmaecker
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