Day Crations rflexives 2017 Dans lassiette au beurre
Day Créations réflexives 2017
Dans l’assiette au beurre Hélène de Kovachich
C’est une histoire où se mélangent conflit conjugal, accointances politiques, privilèges, conflit d’intérêts et secrets. Une histoire qui va retenir l’attention des médias québécois pendant quatre ans. Une histoire qui jette un certain discrédit sur le Tribunal administratif du Québec, l’instance judiciaire chargée de réviser les décisions rendues par une multitude de ministères, régies et sociétés du gouvernement du Québec. C’est une histoire qui à la fin aura coûté aux contribuables quelque 113 500 $.
Diplômée en droit de l’Université de Montréal, membre de l’association libérale du comté de Westmount en 2004, candidate pressentie pour les élections à l’époque de Jean Charest, attachée politique au cabinet du ministre du Revenu, membre avocate à la section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (TAQ), Hélène de Kovachich a été nommée présidente de ce tribunal en 2008, pour un mandat d’une durée de cinq ans. Alors que son mandat se terminait seulement en avril 2013, voilà que le gouvernement Charest procédait à son renouvellement dès mai 2012, soit un an plus tôt. Il s’agissait d’une procédure inhabituelle, les renouvellements de mandat étant plutôt faits quelques semaines avant leur expiration, tout au plus 3 mois. Mais la campagne électorale approchait… En novembre 2012 puis en mars 2013, quelques articles publiés dans le quotidien La Presse faisaient état de plaintes de la part des membres du TAQ au sujet de leur rémunération et de leurs conditions de travail. Il y était aussi question de «tensions entre les membres et la direction de l’organisme» , d’un climat de travail «déplorable» , de critiques relatives à la gestion de la présidente.
C’est dans ce contexte qu’une allusion était faite «sur un mandat aussi important que mystérieux accordé par le TAQ – 84 000 $ – à une avocate spécialisée en droit familial. » La Presse apprenait par ailleurs que le gouvernement était intrigué par ce mandat onéreux et toujours en cours et qu’on se demandait quelle situation pouvait bien justifier qu’un membre du TAQ ait, pour des raison liées à ses fonctions, eu recours à une spécialiste du droit familial. Il était alors impossible d’en savoir plus puisque le dossier en question avait été mis sous scellés et était frappé d’une ordonnance de non publication. Même le ministre de la Justice de l’époque, intrigué par un contrat rémunérant une avocate au taux horaire de 425 $, n’avait pu obtenir d’explication satisfaisante de la part de madame de Kovachich. Puis à la mi avril 2013, le journaliste Philippe Teisceira Lessard révélait que Me Robert P. Charlton, associé principal chez Norton Rose (une prestigieuse firme juridique internationale basée à Londres) avait été accusé de harcèlement criminel et d’extorsion à la fin de 2012 et que sa présumée victime était Me Hélène de Kovachich. Les deux avaient été mariés jusqu’en 2010. Le journaliste ajoutait que madame de Kovachich était maintenant la conjointe de Pierre Marc Johnson, premier ministre du Québec de septembre 1985 à novembre 1987.
« C’est pour un litige personnel que la présidente du tribunal administratif du Québec (TAQ), Hélène de Kovachich, a requis les services d’une avocate spécialisée en droit familial – Luce Gayrard – un mandat qui a coûté jusqu’ici 144 700 $ aux contribuables. En croisant les informations divulguées à la Commission de l’administration publique, il apparaît clairement que la présidente du TAQ a elle-même décidé que le litige compromettait son rôle comme membre du tribunal. […] Sous l’œil attentif de son conjoint, l’ex-premier ministre Pierre-Marc Johnson, Mme de Kovachich a expliqué qu’elle ne pouvait divulguer le contenu du dossier de Me Gayrard sans contrevenir aux ordonnances de deux tribunaux. Un juge a en outre mis toute l’affaire sous scellé, pour protéger encore davantage l’anonymat du membre du TAQ en cause. » (Denis Lessard, «TAQ : un litige personnel aux frais du public» , La Presse, 2 mai 2013)
Le 9 mai 2013, une semaine après les révélations de La Presse, Hélène de Kovachich démissionnait de son poste de présidente. Mais elle persistait à affirmer qu’elle avait agi en parfaite conformité avec les règles. En octobre 2013, la Cour supérieure du Québec confirmait que l’argent versé par le TAQ émanait d’un conflit personnel entre la présidente du TAQ et son ex mari et qu’il s’agissait d’un recours de nature civile. Quant aux accusations d’extorsion et de harcèlement criminel déposées contre l’ex mari, il appert qu’elles avaient été retirées. Bref, Mme de Kovachich ayant fait financer à même les fonds publics un procédure judicaire personnelle contre son ex mari, le Conseil de la justice administrative décidait d’ouvrir une enquête. Et le Vérificateur général du Québec s’invitait lui aussi dans le dossier.
«Mal attribué, mal géré, manque de transparence, aucune impartialité, aucune mesure de sauvegarde. » Le vérificateur général pose un jugement sévère sur l’attribution par l’ex présidente et juge en chef du Tribunal administratif du Québec, Hélène de Kovachich, d’un contrat à une avocate chargée de la représenter dans une procédure judiciaire l’impliquant personnellement. Dans le rapport que lui avait demandé le Conseil du trésor, rapport déposé hier à l’Assemblée nationale, M. Samson conclut que Me de Kovachich «aurait dû faire preuve de plus de prudence» en attribuant à l’avocate spécialisée en droit familial Luce Gayrard ce contrat qui aurait pu coûter 200 000 $. Me de Kovachich, conjointe de l’ex premier ministre Pierre Marc Johnson, ne faisait pas face à une poursuite et les faits n’étaient pas liés à des gestes posés dans le cadre de ses fonctions, observe le vérificateur. «À la lumière des faits observés, l’ancienne présidente du TAQ n’a pas pris toutes les mesures nécessaires liées à l’exercice de son mandat administratif à titre de dirigeante du Tribunal» , poursuit il, soulignant «la nature particulière du dossier et des sommes substantielles en cause» . Le vérificateur général reproche à l’ancienne présidente du Tribunal administratif du Québec (TAQ) d’avoir «dérogé au principe de transparence dans la gestion des fonds publics» en signant ce contrat. En outre, «sous l’angle de la saine gestion des fonds publics, le fait que l’ex-présidente était personnellement concernée par cette situation la privait de l’impartialité qui est attendue d’un gestionnaire public. Elle ne pouvait donc pas évaluer si sa fonction de membre était menacée et autoriser seule l’affectation des fonds publics à ce dossier» , de renchérir M. Samson en point de presse. (Denis Lessard, «Le VG blâme l’ex présidente du Tribunal administratif du Québec» La Presse, 19 février 2014)
Quant au Conseil de la justice administrative, il recommandait à la ministre de la Justice, au terme de son enquête, d’écarter Mme de Kovachich de ses fonctions pendant six mois, sans rémunération, celle ci s’étant placée en «véritable conflit d’intérêts» . Le Conseil écrit : «Il y a non seulement apparence, mais véritable conflit d’intérêts dans cette prise de décision. L’intérêt on ne peut plus direct de Me de Kovachich dans la décision qu’elle a prise, les sommes en jeu et le fait qu’il s’agisse de biens publics incitent le Comité à conclure que la conduite de Me de Kovachich est de nature à miner la confiance et le respect du public à l’égard du TAQ, de ses dirigeants et, plus généralement, de la justice administrative […] Le fait qu’elle a agi comme si elle n’était pas concernée au premier chef par cette importante décision et qu’elle a adopté, tout au long de cette histoire, une conduite s’apparentant à de l’aveuglement volontaire justifie l’importance de la sanction. » Il s’agissait d’une première au TAQ. Jamais un membre du TAQ n’avait fait l’objet d’une suspension, sans salaire de surcroît.
De la somme de 213 500 $ que le TAQ avait versée à l’avocate de Me de Kovachich, l’organisme a pu récupérer 100 000 $ à la suite d’une entente intervenue entre le tribunal et Me de Kovachich. Le litige qui opposait la conjointe de l’ancien premier ministre Pierre Marc Johnson à son ancien mari aura donc coûté au contribuable québécois la somme de 113 500 $.
Professeur associé à la Faculté de droit de l’Université Laval et auteur de nombreux ouvrages sur la justice administrative au Québec, Patrice Garant a exprimé sa tristesse devant le comportement de la présidente du TAQ et souhaité qu’elle réfléchisse à son avenir. Il déclarait, à l’issue de cette affaire : «Un juge en chef qui fait l’objet d’un telle plainte, d’un tel blâme, d’une telle sanction a un problème de crédibilité […] Je douterais qu’elle puisse avoir la légitimité [de] retourner [au TAQ]. Ça n’a pas de bon sens pour l’intégrité du système de justice administrative. »
Mais quand on est politiquement bien «branchée» , quand on appartient à la célèbre famille Johnson dont les deux membres principaux (Pierre Marc et Daniel) ont grandement bénéficié des largesses des gouvernements Charest et Couillard, il n’y a pas vraiment lieu de s’inquiéter pour son avenir et ses vieux jours. Le 14 septembre 2016, sans grande publicité, quelques médias nous apprenaient que Me Hélène de Kovachich avait été «prêtée» pour trois ans par le gouvernement à l’Université de Montréal afin de mettre sur pied un clinique de médiation, participer aux activités de recherche de la Faculté de droit et «enseigner en matière de médiation et de modes alternatifs de règlement des conflits» . Elle continuera d’être rémunérée en tant que haute gradée de l’appareil gouvernemental au salaire de 140 117 $, plus les avantages sociaux. Dans son décret de nomination, on a soutenu qu’elle possédait «une expertise reconnue dans le domaine des modes alternatifs de règlement des conflits» . Si cela est vrai, n’est il pas étrange qu’avec de telles compétences elle n’ait pas été capable de régler les différends et les conflits au sein de l’organisme gouvernemental qu’elle présidait? Il y a toujours du clair obscur avec cette dame de Kovachich. Au gouvernement, on a soutenu que c’est l’Université de Montréal qui avait sollicité son embauche. À l’Université, on a affirmé que c’est madame qui avait entrepris les démarches… Quoiqu’il en soit, sous le couvert de l’anonymat il y a eu des expressions de perplexité quant au bien fondé de cette nomination.
Sources documentaires ▪ Philippe Teisceira Lessard, «Tribunal administratif du Québec : fronde contre la juge en chef» , La Presse, 20 novembre 2012. ▪ Denis Lessard, «Tribunal administratif : les juges souhaitent être mieux rémunérés» , La Presse, 23 novembre 2012. ▪ Denis Lessard, «Des tensions au tribunal administratif du Québec» , La Presse, 1 er mars 2013. ▪ Denis Lessard, «Tribunal administratif du Québec : la tension monte entre la présidente et les juges» , La Presse, 8 mars 2013. ▪ Denis Lessard, «Contrat mystérieux du tribunal administratif : St Arnaud veut des réponses» , La Presse, 21 mars 2013. ▪ Philippe Teisceira Lessard, «Un avocat accusé d’extorsion» , La Presse, 16 avril 2013. ▪ Denis Lessard, «Une facture d’avocat qui gonfle» , La Presse, 1 er mai 2013. ▪ Denis Lessard, «TAQ : un litige personnel aux frais du public» , La Presse, 2 mai 2013. ▪ Denis Lessard, «Sévères critiques contre le TAQ» , La Presse, 2 mai 2013. ▪Philippe Teisceira Lessard, «Dépenses controversées : la juge en chef du TAQ démissionne» , La Presse, 9 mai 2013. ▪ Philippe Teisceira Lessard et Denis Lessard, «TAQ : la juge en chef remplacée par un proche du PQ, La Presse, 10 mai 2013. ▪ Philippe Teisceira Lessard, «Affaire de Kovachich : accès au dossier interdit à La Presse, 7 octobre 2013. ▪ Anabelle Blais, «Une deuxième enquête sur les dépenses de l’ex juge en chef» , La Presse, 6 décembre 2013. ▪ Denis Lessard, «Le VG blême l’ex présidente du Tribunal administratif du Québec» , La Presse, 19 février 2014.
Sources documentaires ▪ Philippe Teisceira Lessard, «L’ex présidente du Tribunal administratif du Québec suspendue sans salaire» , La Presse, 13 novembre 2014. ▪ Baptiste Ricard Châtelain, «Une juge du Tribunal administratif du Québec suspendue sans salaire» , Le Soleil, 13 novembre 2014. ▪ Yves Boisvert, «Un secret qui nous coûte 200 000 $» , La Presse, 13 novembre 2014. ▪ Denis Lessard, «Fournier a soutenu l’ex présidente du TAQ Hélène de Kovachich» , La Presse, 14 novembre 2014. ▪ Baptiste Ricard Châtelain, «Une juge suspendue reprendra le travail sans rembourser des montants dus» , Le Soleil, 6 mars 2014. ▪ La Presse canadienne, «L’ex présidente du TAQ devra verser 100 000 $» , 27 mars 2015. ▪ Philippe Orfali, «L’ex présidente du Tribunal administratif prêtée à l’Ude. M aux frais de l’État, Le Devoir, 15 septembre 2016. ▪ Jean François Parent, «Hélène de Kovachich nommée par Québec!» , www. droit inc. com, 14 septembre 2016. Illustrations Photos prises sur le Web Conception R. Day Octobre 2017
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